L'Acanthe, un motif ornemental
par
Catherine AUGUSTE,
Ancienne Elève des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités |
Détail d'une frise à l'acanthe par
Jacques Stella (1596, Lyon - 1657, Paris) L’acanthe ornementale est une feuille aux limbes découpés et dont
les bords sont soit lobés soit dentés. Elle apparaît sous des
formes variées (rinceaux, rosettes, etc.) dans l’ensemble des
arts décoratifs : frise en pierre sculptée de la Maison carrée
de Nîmes du Ier siècle après J.-C., décor peint de Mantegna à
Mantoue au XVIe siècle, marqueterie du mobilier
Boulle au XVIIe siècle, dentelle dit au « gros
point », plus près de nous, les armoires d’Uzès. Nous pourrions
remplir des livres d’exemples, alors posons-nous davantage la
question de son omniprésence. |
Genèse de l’acanthe ornementale
Acanthus mollis |
Depuis l’Antiquité, l’acanthe ornementale traverse les
époques en subissant des variations de styles ou des retours
en arrière.
Elle domine l’ensemble des arts décoratifs du fait de sa
flexibilité plastique qui permet de multiples usages et
adaptations.
Le terme acanthe repose sur la ressemblance avec la
plante méditerranéenne (acanthus mollis ou
acanthus spinosi) mais l’acanthe ornementale à son
origine ne résulte pas d’une imitation de la nature.
L’historien de l’art autrichien Aloïs Riegl explique dans
son livre Questions de style que le motif d’acanthe
se serait développé à partir de la palmette. C’est en
suivant la trace de l’ornement végétal et du développement
du rinceau depuis l’art égyptien jusqu’à l’acanthe romaine
qu’il émet son propos.
Ainsi la palmette qui est un ornement plat, devient
tridimensionnelle dans l’art grec du Ve siècle
avant J.-C. (voir les motifs de l’Erechtéion à l’Acropole
d’Athènes). La forme stylisée s’éloigne tandis que le motif
végétal apparaît avec tige et bourgeon proche de la plante
d’acanthe. |
L’acanthe domine
Planche gravée et inspirée d'un fragment de L'Ara Pacis par
Agostino Musi dit Veneziano vers 1535. Vénitien d'origine,
Veneziano s'est établi à Rome où il recopie directement des
exemples venus de l'Antiquité. L'Ara Pacis est un autel de
la paix édifié pour célébrer l'heureux retour d'Auguste de
Gaule en l'an 13 av. J.-C.
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L’ordre corinthien, dernier des trois ordres
architecturaux grecs, est apparu au milieu du Ve siècle avant J.-C.
dans la région d’Athènes. Il se caractérise par une grande richesse
ornementale et, pour ce qui nous intéresse, par un chapiteau décoré
de deux rangées de feuilles d’acanthe, de volutes et de petites
fleurs. D’abord utilisé avec les autres ordres dans l’architecture
grecque, l’ordre corinthien sera en revanche le favori de
l’architecture romaine dès lors que quelques colonnes de l’Olympéion
d’Athènes sont transportées à Rome au Ier siècle avant J.-C.
L’acanthe domine alors l’ornementation
s’échappant des chapiteaux pour s’intégrer à de nombreux décors
sculptés. Les Romains s’inspirent d’abord des rinceaux très déliés
des Grecs où les tiges se déroulent gracieusement. Puis les rinceaux
deviennent puissants et souples, les feuillages plus touffus
remplissent davantage les fonds au temps d’Hadrien. L’Antiquité
tardive lui confère un traitement adouci jusqu’à reprendre à nouveau
une forme sans relief.
En faisant un grand bond dans le temps on
s'aperçoit que la Renaissance italienne reprend la formule classique
et déliée de l’acanthe antique et que Charles Le Brun, peintre du
roi Louis XIV, décore Versailles d’acanthes lourdes. L’acanthe est
toujours là.
On pourrait avancer quelques explications à
cette omniprésence :
- l’acanthe ornementale s’est développée sous
l’Antiquité romaine, dans une civilisation qui avait construit un
empire jusqu’aux marges de l’Angleterre, semant loin son art et ses
compositions ornementales ; l’acanthe s’implante facilement car elle
permet des stylisations où elle n’est plus très reconnaissable,
- la redécouverte des modèles antiques (la Domus Aurea de Néron)
dans l’Italie renaissante ; Italie devient un centre artistique
majeur de l’Europe ; les artistes italiens sont appelés dans les
cours européennes pour la réalisation de décors somptueux où
l’acanthe n’est pas absente ;
- une large diffusion des motifs de
rinceaux, de grotesques, d’acanthes par le biais des estampes dont
l’Italie fut un centre majeur de production,
- en dernière explication : l’acanthe est étonnamment plastique au
point que chacun peut s’en emparer pour l’enrouler, l’entrelacer,
combler des trous, tout en choisissant une facture réaliste ou
stylisée. En cela elle répond bien aux demandes des ornemanistes.
Légende poétique de la naissance de l’ordre corinthien :
Dans son traité De Architectura
(livre IV, chapitre 1), Vitruve, architecte romain du Ier
siècle avant J.-C., retrace le récit légendaire de la
naissance du chapiteau corinthien par le sculpteur
Callimaque de Corinthe :
« Le troisième genre de colonnes est
appelé corinthien, il représente la délicatesse d'une jeune
fille à qui l'âge rend la taille plus dégagée et plus
susceptible de recevoir les ornements qui peuvent augmenter
la beauté naturelle.
L'invention de son chapiteau est fondée sur cette rencontre.
Une jeune fille de Corinthe prête à marier étant morte, sa
nourrice posa sur son tombeau dans un panier quelques petits
vases que cette fille avait aimés pendant sa vie, et afin
que le temps ne les
gâtât pas sitôt étant découvert, elle mit une tuile sur le
panier, qui, ayant été posé par hasard sur la racine d’une
plante d’acanthe, il arriva, lorsqu’au printemps les
feuilles et les tiges commencèrent à sortir, que le panier
qui était sur le milieu de la racine fit élever le long de
ses côtes les tiges de la plante, qui rencontrant les coins
de la tuile, furent contraintes de se recourber en leur
extrémité et faire le contournement des volutes.
Le sculpteur Callimachus, que les Athéniens appelèrent
Catatechnos à cause de la délicatesse et de la subtilité
avec laquelle il taillait le marbre, passant auprès de ce
tombeau, vit le panier et de quelle sorte ses feuilles
naissantes l’avaient environné : cette forme nouvelle lui
plus infiniment, et il en imita la manière dans les colonnes
qu’il fit depuis à Corinthe, établissant et réglant sur ce
modèle les proportions et la manière de l’ordre
corinthien. »
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Les formes de l’acanthe ornementale
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L’étude des décors à feuilles d’acanthe depuis
sa genèse nous surprend par l’extrême variation des formes et des
emplois. On vient à penser que chaque époque, sans abandonner
totalement l’acanthe, semble avoir créé son propre style pour
répondre aux goûts des contemporains.
Mais il faut attendre la Renaissance italienne
pour constater l’étendue de son emploi à l’ensemble des arts
décoratifs ; pour la première fois, stucs, mobilier, art du métal,
textiles, décors peints, etc. sont ornés de d’acanthe.
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Acanthe
enroulée sur les grilles XVIIIe siècle
du jardin de la Fontaine à Nîmes |
Acanthe sur
vase Médicis
du jardin de la Fontaine à Nîmes |
Les formes d’acanthe
Le végétal offre à l’ornemaniste l’immense
avantage d’un développement soit en tiges, en feuilles, en bourgeons
ou bien en fleurs ; du fait de son extrême plasticité, l’acanthe
décline de nombreuses possibilités décoratives. On trouve ainsi :
- la feuille d’acanthe parfois isolée pour
souligner la forme d'un objet, (vase Médicis du Jardin de la
Fontaine, bronze de mobilier le long d’un piétement) ou pour agrémenter
un ornement principal ; elle prend souvent une forme développée,
comme un peu aplatie,
- un enchaînement ou un alignement de feuilles qui s’organise autour
d’une forme comme pour la cacher (chapiteau corinthien, robinet en
bronze doré du XVIIIe siècle du musée des arts
décoratifs),
- des rinceaux simples ou entrelacés de feuilles qui s'enroulent
autour des tiges ; c’est la solution plastique la plus répandue
(frise du jardin de la fontaine, frise de Jacques Stella) ; soit les
rinceaux sont la « charpente » de la composition, ils permettent
ainsi de subdiviser les panneaux décoratifs, ils peuvent être
habités ou non de grotesques, d’animaux ; soit les rinceaux sont une
simple prolongation ou un élément de liaison d’un réseau supérieur
de bandes ou de cuirs,
Le rinceau d'acanthe habité, tiré d'une
enluminure flamande du XIVe siècle
- des acanthes en rosette, quelquefois surmontée au centre d'un
calice terminé en pointe ; les rosettes se trouvent dans le bois
sculpté, le stuc mais aussi à l’intérieur de frises en rinceaux.
Les variations
Examinons à présent les modulations de
l’acanthe ornementale. Ses volumes, l’inflexion de ses courbes, sa
fréquence d’apparition dans une composition ornementale varient
d’une époque à l’autre et d’un style à l’autre. L’acanthe subit des
phases de « dégraissage » et « d’empâtement » ; pour le constater, il
suffit de comparer deux compositions d’acanthe, l’une dessinée par
Charles Le Brun (1619-1690) et l’autre par Jean Berain (1637-1711),
tous deus instigateurs des styles Louis XIV. La première est
construite autour d’une acanthe puissante, souple et pièce maîtresse
de la composition ; la seconde accordera une simple place
d’accompagnement à la feuille d’acanthe devenue effilée, la
composition étant donné par un réseau de bandes. Pourtant juste
quelques années les séparent.
Démarrage de feuilles d'acanthe sur un papier
peint du XVIIIe siècle
Voici quelques pistes d’exploration :
- Style byzantin : l’acanthe retourne à une forme de palmette ornant
des rinceaux plutôt rigides.
- Au XIVe siècle gothique : les formes sont grimpante et
rampante avec d'énormes enroulements de feuillages.
- A la Renaissance italienne : la feuille s'accompagne de motifs
d'animaux ou figurés. Le grotesque va prendre le dessus.
- A l'époque baroque (XVIIe siècle) : l'acanthe triomphe
à nouveau. Elle s’inscrit dans les motifs de marqueterie de
André-Charles Boulle, dans les dessins de Androuet du Cerceau ou de
Jean Le Pautre dont s'est inspirée toute la décoration de l'époque.
Elle a envahi tous les arts décoratifs : tissus, grilles, stucs,
orfèvrerie, etc.
- Les XIXe et le XXe siècles sonneront son
glas. La tendance s'oriente davantage vers des formes plus
géométriques auxquelles la feuille d'acanthe ne se prête guère. |
Autres articles à lire sur le site
Livres
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Baroque Ornament and Designs
Jacques Stella, Editions Dover, 1987, 46 pages de gravures
Fantastic Ornament: 110 Designs And Motifs
de Lienard, Editions Dover, 2007, 64 pages de gravures
Fantastic Gothic & Renaissance Ornament
de Rudolf Berliner, Editions Dover, 2008, 80 pages de gravures
Questions de style
Aloïs Riegl
Editions Hazan, 2002, 290 pages
L’Acanthe
Ursula Reinhardt
in L’art décoratif en Europe, Tome 2, Classique et Baroque
Editions Citadelles et Mazenod, 1992, pp93-156
Rinceaux et figures
Emmanuel Coquerey
Editions Monelle Hayot et Musée du Louvre, 2005, 264 pages |
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