Permettez-moi d’abord de faire une
petite clarification sur le mot Scagliola.
Scagliola est un mot Italien,
qui provient d’un gypse trouvé en profusion dans le nord de
l’Italie, et dont le caractère principal est sa structure en
feuilles minces sous forme d’écaille, qui est le résultat de
dépôt de sédiments marins accumulés pendant des siècles et
des siècles. Les fines couches écailleuses de ces minéraux
s’appellent Scaglie, et ressemblent aux écailles de
poisson, d’où le nom de ce type de gypse : Scagliola.
Le minéral sélénite, appelé aussi
pierre de la lune
Ces couches ou ces Scaglies sont
tellement parfaites et subtiles qu’autrefois elles étaient
utilisées dans la construction des fenêtres de certaines
églises. La lumière traversant ces fines couches crée des
effets d’une telle beauté qu’on a appelé ce minéral la
sélénite (de Selene, lune en grecque), ou pour être
plus romantique, Pietra de la luna, pierre de la
lune, à ne pas confondre avec la pierre précieuse dite «
pierre de lune ».
La sélénite - ou pierre de la lune -
était calcinée et puis réduite en poussière très fine, par
ailleurs, cette poussière ou gypse en poudre très fine était
aussi appelé Scagliola. Les artisans Italiens avaient
une préférence pour ce gypse à cause de son blanc pur et son
degré de finesse. Ce gypse était utilisé surtout pour des
œuvres d’arts, et particulièrement dans les célèbres tables
de marqueterie créées en Italie pendant la Renaissance.

Dessus de table en scagliola (Italie
de la fin du XVIe siècle)
Depuis, du fait de cette simple
association de mot, le terme Scagliola a été adopté
pour indiquer tous travaux élaborés avec ce gypse. Ainsi,
aujourd’hui un dessus de table créé avec du gypse de
Scagliola sera universellement appelé Scagliola,
exécuté avec une technique connue comme technique du
Scagliola.
Au-delà de l’histoire du mot italien Scagliola (qui
généralement désigne des œuvres comme des tables avec
incrustations), il est vrai que dès le début le produit
était connu sous un autre nom, Stuccomarmo (Stuckmarmor
en allemand, Stucmarbre en français), et il était
utilisé pour couvrir de larges surfaces ou des colonnes.

Stuccomarmo des frères Melocco
(Sydney, Australie)
Pour simplifier les choses,
l’appellation Scagliola doit être utilisée pour
indiquer un travail d’incrustation comme un dessus de table,
et l’appellation de Stuccomarmo doit être utilisée
seulement quand il s’agit de surface de mur, de colonne en
marbre ou de cadre.
Le mot stucco indique que le Stucco-marmo
appartient à la grande famille du stucco, qui inclut
tous les composants de gypse et/ou de chaux, utilisés depuis
l’antiquité pour décorer les maisons et les temples.

Stucco : Plafond de la Domus Aurea de
Néron (Rome)
Tandis que le stucco est
principalement blanc ou coloré d’une manière superficielle,
le Stuccomarmo est employé selon des techniques très
sophistiquées qui consistent à ajouter des couleurs
directement dans la pâte, créant ainsi une parfaite
imitation de marbre sur la surface. Cela explique pourquoi
le mot marbre est ajouté à l’appellation Stuccomarmo.
En vérité, la vraie invention réside
dans le développement d’un procédé très sophistiqué qui a
permis d’obtenir une surface parfaitement polie qui d’une
manière incroyable a traversé les siècles et parvenu jusqu’à
nous.
Sur l’histoire du Scagliola, il
a toujours existé beaucoup de fausse rumeur, mais il
semblerait que tout le monde soit d’accord que son origine
serait certainement l’Europe centrale, et en particulier la
Bavière.
La raison principale de l’invention du Scagliola
vient du fait que les vrais matériaux, comme le marbre,
étaient très difficiles à trouver, de plus ils étaient très
chers et difficiles à transporter. Remplacer l’original par
un produit qui pouvait l’imiter parfaitement, revenait moins
cher, et offrait un produit plus malléable que les artisans
pouvaient colorer à leur guise.
Qu’il s’agisse du Scagliola en
incrustation ou du Stuccomarmo, les premiers travaux
en Allemagne datent de la fin des années 1500, et l’on peut
imaginer avec certitude que les fabricants de Scagliola
étaient déjà actifs dès le milieu du 16ème siècle, comme le
témoignent quelques travaux de la Court de Salzburg.
Sans aucun doute, c’est à travers la célèbre « Reiche
Kapelle », dans le palais du Duc de Bavière, qu’on peut
apprécier la qualité et le niveau de travail obtenus par les
artistes et artisans allemands de cette époque. La chapelle
entière était décorée par une famille d’artisans allemands,
dont le fondateur Blasius Pfeiffer a latinisé son nom de
Pfeiffer à Fistulator.
Lors de sa visite à Florence,
Maximilien Ier fut impressionné par les pierres précieuses
qui décoraient les chapelles des Médicis dans la tradition
florentine. Il a ainsi chargé Blasius de couvrir les murs de
sa chapelle avec du Scagliola marbré et incrusté. Par
conséquence, on peut en effet dire que le Stuccomarmo/Scagliola
était né d’une imitation des matériaux les plus précieux.

Décor de scagliola de la Chapelle du
Duc de Bavière
Afin de garder le secret de ses
techniques, Blasius fut contraint de travailler à l’abri des
regards. Il eut la permission de passer son savoir-faire
uniquement à son fils Wilhelm, qui plus tard exécuta des
panneaux montés sur des murs représentant des scènes de la
vie de Marie. Le travail entier est d’une telle beauté et
d’une telle perfection technique que je l’appelle la
Chapelle Sixtine du Scagliola. C’est aussi la preuve
que cette technique était pratiquée dans ces endroits depuis
longtemps.
L’idée selon laquelle le Scagliola
fut inventé en Italie est probablement fausse, parce
qu’aucune œuvre datant de la même période en Italie ne peut
égaler le niveau de qualité du Scagiola de Bavière ou
de l’Europe Centrale.
Cela n’empêche pas que pendant cette période beaucoup de
paysans italiens ont travaillé en tant qu’ouvriers dans les
régions riches des frontières alpines. Les paysans, pendant
les saisons mortes d’hiver auraient pu traverser les Alpes
pour travailler en tant qu’ouvrier en Bavière. Il est donc
fort possible qu’en rentrant chez eux ils aient essayé de
reproduire le procédé pour obtenir du marbre avec le
Scagliola.
C’est vrai qu’au début du 17ème siècle,
dans la région de Carpi (Emilie Romagne) apparaissaient les
premiers travaux de Scagliola Italien, dont
l’invention est attribuée à Guido Fassi aux alentours de
1610.
Les artistes de Carpi deviennent célèbres pour leurs
magnifiques incrustations de blanc sur fond noir qu’on voit
sur le devant des autels des églises, ainsi que pour leurs
incroyables incrustations colorées fondant délicatement
d’une couleur à l’autre, représentant d’incroyables spirales
de feuilles d’acanthes d’inspiration typiquement Baroque.

Exemple d'incrustations blanches sur
fond noir des artistes de Carpi
A la même époque, il semble qu’une
autre école soit née – celle du Scagliola Intelvese
(dans la région du Lac de Côme), et plus tard le
Scagliola Fiorentina qui deviendra mondialement célèbre.
En général, on peut dire que la production italienne de
cette période était plus orientée vers des créations
d’œuvres artistiques, comme des dessus de tables, pour de
riches Italiens et étrangers, ou des autels d’églises. Sans
doute essayaient-ils de suivre la tradition romaine et
florentine de pierre dure et de marbre.
En Italie, tout va s’arrêter à la fin
du 19ème siècle, quand l’Opificio delle piètredure à
Florence ferme, due principalement au changement de goût de
la clientèle. La pratique du Stuccomarmo –
l’utilisation du gesso marbré – va durer pendant des années,
mais uniquement dans l’architecture. Au cours du 18ème
siècle, l’utilisation du Stuccomarmo s’est répandu à
travers l’Europe continentale et finalement jusqu’en
Grande-Bretagne. Parmi les exemples prestigieux de
Stuccomarmo on peut citer les colonnes et pilastres du
Palais de Buckingham et de Syon House par Robert Adam.

Colonnes en scagliola de Syon House
par Robert Adam
Depuis l’Europe, la technique va se
propager partout dans le monde, pour arriver aux Etats-Unis
(Marezoo), et en Australie (Les Frères Melocco – Peter et
Anthony – en 1920). Des artisans italiens, que j’ai connus
personnellement, ont aussi travaillé en Afrique du Sud
jusque dans les années 50 et 60.
A travers les années, les matériaux
utilisés ont aussi changés, pendant les 18ème et 19ème
siècles beaucoup de travaux ont été exécuté avec de nouveaux
matériaux tels que le plâtre qui prend plus lentement (le
ciment Keen). Ces nouveaux matériaux, plus précisément
appelés ciment, sont très lents à prendre, les plâtriers
évitaient ainsi l’utilisation de colle d’animaux qui était
utilisée dans la recette allemande, ce qui leur donnait du
temps pour marbrer.
En Italie, l’usage de ce matériau a été
complètement abandonné et avec les années le savoir-faire
s’est perdu. Aussi, le Stuccomarmo n’est plus utilisé
dans la construction, le coût est trop élevé et sans doute
le goût de la clientèle a changé.
Par contre la tradition de créer des
dessus de tables est restée, surtout à Florence où il y a
beaucoup d’œuvres anciennes, meubles et œuvres
architecturales qui ont besoin d’être restaurés.
En plus de la création de tables
modernes, je suis souvent appelé à restaurer des tables
antiques. Très souvent on me demande de restaurer des
travaux de stucco-marmo dans des édifices privés ou
publics.
Ce qui est drôle : la plupart du temps, les gens ne
connaissent pas le matériau et croient qu’il s’agit d’un
décor de marbre peint (marmorino ou stucco-lustro).
|