Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), le Raphaël des fleurs
par Catherine Auguste
ancienne élève
des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités |
portrait de Pierre-Joseph Redouté d'après le tableau du Baron
François Gérard Alors que la France traverse des crises
politiques successives, Redouté inscrit sa carrière dans cette
période de pleine effervescence scientifique : le siècle des
Lumières. Les peintres de fleurs dans la tradition flamande sont à
la mode, mais il choisira l’illustration botanique. Sa précision, sa
justesse des proportions et des lignes, la délicatesse de ses
couleurs feront de Redouté un génie de l’iconographie botanique.
Passionné infatigable, il ne cessera pas de travailler jusqu’à son
dernier jour, nous laissant une œuvre immense connue par ses
gravures. |
Le peintre au jardin
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Issu d’une famille de peintres modestes,
Pierre-Joseph Redouté quitte très jeune ses Ardennes natales avant
de rejoindre et assister son frère, peintre-décorateur à Paris en
1782. Face au succès retentissant du peintre de fleurs Gérard Van
Spaendonck qui avait aussi la charge de peintre du Jardin des
plantes, Redouté voit dans ce registre une meilleure façon de gagner
sa vie que la décoration. Il passe ainsi son temps libre au Jardin
du Roi à exercer son dessin et sa technique picturale, l’aquarelle,
d’après nature. Il y rencontre L’Héritier de Broutelle, magistrat du
roi passionné de botanique, et Desfontaines, professeur au Jardin
des Plantes. Tous deux apprécient la fraîcheur de ses coloris, sa
qualité d’exécution et sa précision. Ces rencontres déterminent sa
carrière. Redouté se lance alors dans l’illustration botanique en
assistant L’Héritier jusqu’aux années 1795 pour quelques ouvrages
(voir partie ouvrages illustrés par Pierre-Joseph Redouté). Cette
collaboration va lui ouvrir les portes des milieux tant
scientifiques que de la noblesse.
Melianthus, planche tirée de Recueil de planches de
botanique
de l'encyclopédie de Lamarck Au service de la science, il travaillera
notamment pour l’encyclopédie de Lamarck (biologiste, père de la
théorie de l’évolution). Il enrichira la collection des Vélins du
roi tout au long de sa vie. Cette collection, initiée par Gaston
d’Orléans, frère de Louis XIII, était devenue propriété nationale du
Muséum d’histoire naturelle au lendemain de la Révolution.
Traditionnellement peintes à la gouache sur vélin, les planches de
Redouté le seront à l’aquarelle. Il enrichira cette collection de
plus de 500 planches.
Introduit à la Cour de Versailles, il est nommé
Dessinateur et Peintre de la Reine Marie-Antoinette en 1788. Et
malgré tous les bouleversements politiques, son talent le propulse
Dessinateur de l’Académie des Sciences puis Peintre Officiel de
l’Impératrice Joséphine.
Pendant toutes ces années de l’Empire, Redouté
exerce une activité sans relâche. Toutes les portes lui sont
ouvertes.
Le jardin, l’orangerie et les serres du domaine
de la Malmaison de Joséphine rassemblant les plantes les plus rares
du monde entier seront des lieux privilégiés de peinture pour
Redouté. C’est sous la protection de Joséphine qu’il réalise ses
ouvrages les plus parfaits comme les Liliacées, recueil édité de
1802 à 1816. Avec la mort de Joséphine et la chute de l’Empire, il
poursuit son travail et conçoit Les Roses. L’ouvrage qui
privilégiait la vérité botanique à l’agrément des formes eut un
succès retentissant. Avant celui-ci, très peu d’ouvrages avaient été
consacrés à cette fleur surtout selon des critères scientifiques.
Redouté devient le Raphaël des fleurs.
Mais les vingt dernières années de sa vie sont
ponctuées de déceptions : des nominations professionnelles qui
n’arrivent pas, des ouvrages qui se vendent moins bien, une
clientèle déjà largement satisfaite par ses éditions successives et
un goût du public qui évolue. Sa situation financière devient plus
précaire d’autant que les investissements qu’il avait entrepris dans
son domaine de Fleury lui avaient coûté cher. Peintre infatigable,
Pierre-Joseph Redouté meurt le 19 juin 1840 d’une congestion
cérébrale sur sa table de travail, certes célèbre mais pauvre. |
Un talent au service de la science
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La vie de Pierre-Joseph Redouté s’inscrit dans
un contexte politique bouleversé : arrivé à Paris sous le règne de
Louis XVI, il traverse la Révolution, le Consulat, l’Empire, la
Restauration pour s’éteindre sous le règne de Louis-Philippe. Ceci
n'a pas entamé la montée de sa carrière car du point de vue culturel
la France vit sous le siècle des Lumières.
Ce courant novateur de progression de la pensée et de la recherche
scientifique ne sera jamais interrompu par ces crises politiques. On
envoie aux quatre du monde des savants explorateurs chargés de
décrire, de récolter et de rapporter des spécimens en vue d’une
meilleure compréhension du monde.
Au Jardin des plantes et au Muséum d’histoire naturelle, botanistes,
chimistes, pharmaciens, répertorient et analysent tous ces nouveaux
« matériaux ». Au XVIIIe siècle Linné et les Jussieu affinent la
classification des plantes dont les premiers jalons avaient été
posés au XVIe siècle. Des scientifiques comme Lavoisier, Buffon,
Cuvier, Lamarck prolongent l’élan novateur des Lumières.
Rosier de France à fleurs panachées, Rosa
Gallica
planche n°55 tirée de Les Roses, Tome 1 La botanique est en plein essor et l’engouement
pour les plantes rares explique la multiplication des pépinières et
des jardins. Michaux père et fils envoient en France plus de 300 000
plants d’arbres d’Amérique du Nord. L’impératrice Joséphine
rassemble dans son jardin de la Malmaison une collection de plus de
250 variétés de roses.
Redouté participe à son temps en portraiturant avec une rigueur
descriptive le monde végétal. Un dessin précis, un goût du détail et
une élégance des couleurs assurent très rapidement sa notoriété à
une époque où l’on privilégie l’exactitude à la fantaisie.
Toujours soucieux du rendu et méticuleux, Redouté apprend la
gravure au pointillé au contact du graveur Bartlozzi installé à
Londres. Cette technique à une seule planche confère aux couleurs
une qualité irréprochable. L’utilisation de ce procédé contribue au
succès de ses illustrations. C’est toute l’iconographie botanique
qui acquiert précision et raffinement. Même s’il grave peu
personnellement, Redouté suit de près son équipe de graveurs.
L’œuvre de Pierre-Joseph Redouté est immense : d’abord par sa
participation à des publications botaniques de scientifiques mais
aussi par des initiatives personnelles comme Les Liliacées ou Les
Roses. Au total une cinquantaine d’ouvrages. |
La technique de Redouté
Magnolia macrolla, planche n°33, tirée
de Description de plantes rares cultivées à Malmaison et
à Navarre de A. Bonpland, 1813 |
Très tôt il se consacre à une seule technique : l’aquarelle
sur dessin au crayon sur vélin reproduite ensuite par
gravure au pointillé. Ce médium lui permet de représenter le
plus fidèlement la nature. Il ne cherche pas à surprendre
par illusionnisme comme Gérard Van Spaendock dans ses
compositions florales très en vogue à cette époque mais bien
davantage à atteindre une perfection d’analyse : la tension
de la plante, ses couleurs, ce qui est important pour la
reconnaître. Dans le dépouillement de ses planches, la
composition prend tout son sens : la plante est présentée
frontalement dans le vaste espace du vélin et semble
s’offrir au spectateur. Parfois le feuillage ou la tige
débordent du cadre mais rien ne vient parasiter l’analyse
naturaliste. Il s’accorde un jeu d’ombre et de lumière
délicat pour le rendu des modelés. Et sa palette de couleurs
très nuancée ajoute à l’exactitude de la représentation.
Le travail de Redouté navigue entre :
- l’encyclopédie d’une part par la
quantité de planches peintes dans une tradition naturaliste,
d’autre part par le discours scientifique présentant chaque
plante
- et les arts décoratifs pour lesquels il réalise quelques
recueils à destination des illustrateurs de décors de
porcelaine, de tissus…Il lui-même fournit des planches pour
la manufacture de papiers peints de Mulhouse ou pour des
dessus de table en porcelaine.
L’enseignement selon trois principes
qu’il dispense dans son atelier parisien résume parfaitement
son œuvre : exactitude, justesse du dessin et composition.
Ce dernier principe révèle bien qu’il ne se bornait pas à
une simple illustration documentaire.
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Un recueil de prestige : Les Liliacées
Amaryllis
gigantea
Les Liliacées |
L’œuvre de Pierre-Joseph Redouté est immense :
outre le fait qu’il soit associé à la publication d’une cinquantaine
d’ouvrages pour de nombreux savants et botanistes, il est également
l’auteur, de sa propre initiative, d’ouvrages remarquables dont les
Liliacées.
Pourquoi les Liliacées ? Redouté s’explique
dans son discours préliminaire : « Les naturalistes regrettaient
depuis longtemps de ne pouvoir conserver les Liliacées dans leurs
herbiers : l’exactitude de la description et la vérité de la gravure
les dispenseront du soin de les préparer (...)».
En juillet 1802, Redouté fait paraître la
première livraison de son ouvrage les Liliacées qui se
poursuivra jusqu’en 1816. Il assura une édition de prestige sur
papier grand-folio dont il retoucha lui-même toutes les planches de
tous les exemplaires. Au total 80 livraisons regroupant plus de 480
planches accompagnées de textes écrits notamment par Candolle.
Près d’une vingtaine d’artistes graveurs
travaillèrent sous la direction de Redouté à reproduire les
originaux peints selon la technique de la gravure au pointillé.
L’ouvrage intégrait aussi des Amaryllidacées, des Iridacées et
quelques orchidées.
Une partie des planches furent exécutées au
jardin de la Malmaison de l’impératrice Joséphine, sa grande
protectrice, qui lui acheta les 486 aquarelles originales sur vélin.
Redouté lui dédia une plante en renommant
Amaryllis gigantea - du fait des dimensions gigantesques du
bulbe - en Amaryllis de Joséphine reproduite sur la planche
n°370-371 de l’ouvrage.
Redouté présente la plante dans son entier et
parfois grandeur nature avec le bulbe. Il n’hésite pas à la partager
en deux pour montrer toutes les parties. La technique picturale
employée est l’aquarelle sur traits au crayon, les détails
botaniques (bulbe, pistil…) sont dessinés à la mine de plomb et
comme placés en arrière-plan. Certaines fleurs sont enfermées dans
un cadre doré selon l’usage courant et ainsi qu’il faisait pour les
Vélins du roi. Mais elles débordent fréquemment de ce cadre.
Les Liliacées suscita un enchantement
tel que Napoléon commanda de nombreux exemplaires pour les musées et
les bibliothèques de France. Les 486 originaux furent hérités par le
prince Eugène puis vendus avec la bibliothèque des ducs de
Leuchtenberg à Zurich en 1935. Ils furent malheureusement dispersés
dans une vente aux enchères à New York en 1985. |
Biographie
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1759
le 10 juillet, naissance de Pierre-Joseph Redouté à
Saint-Hubert (Ardennes belges), issu d’une lignée de
peintres modestes
1776
mort de son père ; son frère Antoine-Ferdinand part
s’installer à Paris comme peintre décorateur
1782
rejoint son frère à Paris pour l’aider et peint des fleurs
au Jardin du roi dans ses temps libres
1784
rencontre L'Héritier de Broutelle (un magistrat du roi) qui
le lance dans l'illustration botanique notamment avec
Stirpae Novae ; ils collaborent jusqu’en 1795
1786
épouse Marie-Marthe Gobert et naissance de sa fille
Marie-Josèphe
1787
s'installe à Londres, où L'Héritier s'était exilé; pour
travailler sur le Flore du Pérou et du Chili de
Dombey ; il étudie les plantes du jardin de Kew
1788
rentre à Paris en 1788, où L'Héritier l'introduit à la cour
de Versailles. Redouté reçoit le titre de "Dessinateur et
peintre du Cabinet de la Reine" et des commandes de la
noblesse ; exécute pour le peintre Gérard Van Spaendonck des
dessins destinés à la collection des Vélins du roi
1792
nommé "Dessinateur de l'Académie des Sciences" ; commence à
travailler pour l’encyclopédie de Lamarck ; naissance de sa
fille Marie-Louise
1797
travaille pour les botanistes Ventenat et Michaux
1799
Joséphine de Beauharnais devient sa protectrice, il
fréquente le château de la Malmaison ; exécute 170 planches
pour l’Histoire des Plantes Grasses de Candolle
1800-1802
participe à de nombreuses publications comme Description
des plantes nouvelles et peu connues de Ventenat,
Histoire des chênes d’Amérique septentrionale de Michaux
ou Flora boreali également de Michaux ; paraît son
ouvrage les Liliacées
1804
expose au Salon des aquarelles sur vélin acquis pour
l’impératrice Joséphine ; achète sa propriété de Fleury ; il
est nommé peintre de fleurs de l’impératrice ; illustre de
65 planches la Botanique de Jean-Jacques Rousseau
1807
installe un atelier et donne des cours de peinture
1809
après le divorce de Napoléon et de Joséphine, Redouté
devient le professeur de peinture de l'impératrice
Marie-Louise
1814
mort de Joséphine de Beauharnais
1816
publie son ouvrage Les Roses
1822
nommé "Maître de dessin au Museum d'Histoire Naturelle" ;
dans son atelier donne des leçons suivies par la reine
Hortense, la duchesse de Berry, Marie-Adélaïde d'Orléans, la
reine Amélie et ses filles Marie-Christine et Louise-Marie
(future épouse de Léopold Ier, roi des Belges)
1823
première leçon publique d’iconographie dans la grande
galerie de Buffon du Muséum d’histoire naturelle
1825
agrandit son domaine de Fleury et reçoit la Légion d’honneur
de Charles X
1830
nommé " Peintre de fleurs du Cabinet de la Reine "
1835
nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold en Belgique ; publie
collection de jolies petites fleurs et recueil de
six bouquets
1836
publie Choix de soixante roses dédié à la reine
Louise-Marie
1840
meurt d’une congestion cérébrale le 19 juin
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Quelques ouvrages illustrés par Pierre-Joseph Redouté
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Charles-Louis L'Héritier de Broutelle, (1785-89/91),
Stirpae Novae, 46 planches
Charles-Louis L'Héritier de Broutelle, (1789-92), Sertum
anglicum, 22 planches
Charles-Louis L'Héritier de Broutelle, (1792)
Geraniologia, 31 planches
Jean-Baptiste Monnet de Lamarck, (1791-1823) Recueil de
planches de botanique de l'Encyclopédie, 37 planches
René Desfontaines, (1798-99), Flora Atlantica, 87
planches
Augustin de Candolle, (1799-1837), Histoire des plantes
grasses, 187 planches
Etienne-Pierre Ventanat, (1800-03), Description des
plantes nouvelles et peu connues cultivées dans le jardin de
M. Cels, 81 planches
Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, (1800-19),
Traité des arbres et des arbustes que l'on cultive en pleine
terre en France, 309 planches
Pierre-Joseph Redouté (1802-16), Les Liliacées, 503
planches
Michaux père et fils, (1803), Flora borealiamericana,
51 planches
Pierre-Etienne Ventanat (1803-05), Jardin de la Malmaison,
120 planches
Jean-Jacques Rousseau (1805-1806), Botanique, 65
planches
Aimé Bonpland (1812-17), Description des plantes rares
cultivées à Malmaison et à Navarre, 54 planches
Pierre-Joseph Redouté (1817-24), Les Roses, 165
planches
Pierre-Joseph Redouté, Choix de quarante plus belles
fleurs, tirées du grand ouvrage des Liliacées, pour servir
de modèle aux personnes qui se livrent au dessin ou à la
peinture des fleurs, aux manufactures d’étoffes, de tapis,
de broderies, 40 planches
Pierre-Joseph Redouté (1827-33), Choix des plus belles
fleurs et de quelques branches des plus beaux fruits,
dédié à LL. AA. RR. les Princesses Louise et Marie
d'Orléans, 144 planches
Pierre-Joseph Redouté, (1835), Recueil de six beaux
bouquets |
Le centre Pierre-Joseph Redouté
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Musée communal Pierre Joseph Redouté (Saint-Hubert)
Rue Redouté 11
6870 SAINT-HUBERT
Tél. : +32 (0) 61 61 18 72 ou 061 61 17 72
Contact M. Jacques Guillaume
Le centre P.J. Redouté propose les œuvres originales : gravures,
lithographies originales.
Henri-Joseph Redouté (frère de Pierre-Joseph) fut un des
collaborateurs de " Description d'Egypte " pendant l'expédition
française de Bonaparte.
Responsable
Guillaume, Jacques Président de l'ASBL P.J. Redouté |
Quelques livres
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Le livre de Claudia Salvi,
Pierre-Joseph Redouté, le prince des fleurs, a été la source
principal pour la réalisation de cet article.
Pierre-Joseph Redouté, le prince des fleurs
Claudia Salvi, Pierre-Joseph Redouté
Edition Renaissance du Livre, 248 pages, 2001
Romantic Roses
de Pierre-Joseph Redouté
Editions Taschen, 2003, 192 pages
Fleurs de Pierre-Joseph Redouté
Editions Bibliothèque de l’image, 1998, 96 pages
Redoute’s roses de Petra-Andrea Hinz
Editions Taschen, collection Icons, 2001, 192 pages
Pour voir d'autres livres sur l'ornement botanique voir les pages :
www.meublepeint.com\lire_ornement-vegetal.htm
www.meublepeint.com\librairie.htm
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