Peindre avec les primaires,
c'est possible !
par
Jean-Charles
FUMOUX
ancien élève de Robert Mermet
restaurateur de tableau, professeur de peinture
74 Bvd de Cessole
06100 Nice
04 92 09 88 65
jc.fx@orange.fr
peindre-vrai.fr
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Nombreux sont les peintres amateurs ou
professionnels qui ont essayé de peindre avec les couleurs
primaires. Nombre d'entre eux sont ressortis très déçus par cette
expérience. Certains sont même intimement convaincus qu'il est
impossible d'obtenir toutes les couleurs en utilisant ce procédé,
particulièrement les ocres, les terres et les violets.
Cela fait très longtemps que je peins et
restaure des tableaux en utilisant le système de trichromie des
couleurs. Moyennant quelques précautions et un minimum de rigueur,
je peux vous affirmer qu'on obtient le même résultat que...
l'imprimante couleur d'un ordinateur !
Plus encore, comme les couleurs ne sont ni insaturées (par
adjonction de blanc) ni rembrunies (par adjonction de noir) leur
qualité et leur intensité sont comparable, voir supérieure à
celle proposée par les meilleurs produits des fabricants. Et ce ne
sont pas là les seuls avantages !
La première des précautions indispensables à respecter pour
obtenir un résultat probant est d'utiliser les peintures
primaires. Cette affirmation que n'aurait pas dénigrée
Monsieur de La Palisse et qui peut prêter à sourire n'est
pas aussi facile à suivre qu'il y paraît à première vue. |
Pas de concession !
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Aucune concession ne saurait être admise dans la composition des
pigments entrant dans la fabrication des couleurs primaires que nous
allons utiliser. Ceux-ci, en effet, sont particuliers et ne peuvent
de ce fait être obtenus par mélange d'autres pigments. On ne peut
pas obtenir de résultat probant en utilisant des primaires de
substitution, par exemple du Vermillon pour le rouge, du bleu de
Prusse mêlé à du blanc pour le bleu etc.
Il convient de savoir que les pigments obéissent à une
appellation internationale constituée de 2 lettres suivies de 1 ou
2 chiffres (les codes sont les suivants : PW=pigment blanc, PO=pigment
orange, PB=pigment bleu, PBr=pigment brun, PV=pigment violet,
¨Y=pigment jaune, PR=pigment rouge, PG=pigment vert, PBk=pigment
noir. Par exemple : PW1 correspond au blanc d'argent, PW4 au
blanc de zinc etc. Les chiffres qui suivent les lettres
correspondent à des corps chimiques particuliers.)
Voici l'appellation des pigments primaires :
- jaune primaire : PY3, PY74 ou PY3+PY74
- rouge primaire ou Magenta : PR122
- bleu primaire ou Cyan : PB15 ou PB15+PB16
Les difficultés commencent ici :
Vous allez comprendre pourquoi il vous faudra être tout à la
fois très persévérant et très vigilant. Je n'aime pas être
particulièrement critique cependant :
1°/ à de rares exceptions près les vendeurs de matériel pour
artistes essaieront de vous convaincre d'accepter des primaires
approchantes. Ils sont vendeurs donc persuasifs ! Si vous
acceptez c'est l'échec assuré.
2°/ d'autre part les fabricants possédant les primaires dans
leurs catalogues de peinture à l'huile sont fort peu nombreux (voir
en fin d'article). Leur
nombre fond comme neige au soleil si l'on considère ceux qui
respectent à la fois l'étiquetage Primaire et la nature exacte des
pigments entrant dans la composition de la pâte.
Cela est déplorable... car les fabricants possèdent les vraies
primaires mais... dans leurs catalogues de gouache ! Cela
tiendrait-il au fait que l'Education Nationale qui représente à
elle seule un marché énorme a décidé l'enseignement de la
trichromie des couleurs à l'aide de la peinture à l'eau ? Je
vous laisse seul juge !
Partons cependant du principe que vous avez enfin réussi à vous
procurer 3 tubes de primaires à l'huile de bonne qualité.
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Précautions à observer
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Les précautions à observer pour bien peindre sont peu
nombreuses :
La principale consiste à conserver les primaires parfaitement
propres tout au long du travail. Pour ce faire, c'est avec un
couteau et non un pinceau que vous allez les prélever dans la zone
de stockage de votre palette, pour les poser ensuite dans la zone de
mélange, où vous pourrez alors utiliser le pinceau comme vous le
faites habituellement. Changez également souvent le diluant qui
sert au nettoyage de votre pinceau.
Ensuite, pour effectuer vos mélanges de couleur, il convient de
toujours poser en premier la couleur la plus claire, puis de lui
incorporer ensuite, avec prudence, la couleur la plus foncée. Ceci
est important si vous ne voulez pas vider rapidement vos tubes. En
effet le jaune primaire a un pouvoir colorant 4 fois moins élevé
que le rouge et 8 fois moins élevé que le bleu. Si vous mettez une
noix de bleu d'abord et que vous voulez réaliser un vert moyen, il
vous faudra mettre 8 à 10 noix de jaune ! A un tel rythme, vos
tubes ne vont pas faire long feu !
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Fabrication des couleurs
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Il est facile d'obtenir tout un nuancier d'orange, de verts et de
violets :
en mélangeant le jaune primaire et le rouge primaire ou
Magenta, nous allons obtenir les oranges :
Jaune |
Magenta |
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en mélangeant le jaune primaire et le bleu primaire
ou Cyan, nous allons obtenir les verts :
Jaune |
Cyan |
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en mélangeant le rouge Magenta et le bleu Cyan ,
nous allons obtenir les violets :
Magenta |
Cyan |
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Pour obtenir maintenant tout un nuancier d'ocres
jaunes, d'ocres rouges, de bruns qui, en peinture, portent aussi le
nom de terres (terres de Sienne naturelle, de Sienne brûlée, de Pouzzoles, de Cassel, etc.) il est totalement faux de penser qu'on
part des différents oranges et qu'on leur ajoute du noir.
Il convient d'abord de fabriquer un vert très clair
appelé vert de base.
Voici cette couleur :
Ce vert assez indéfinissable est particulier. C'est
à la fois un jaune et un vert. Il est à la frange exacte des
2 couleurs. On l'obtient facilement en mettant une touche
infime de Cyan dans le jaune primaire.
Partant de ce vert de base, en mélangeant d'abord
du Magenta en infime quantité, nous obtenons l'ocre jaune. Puis, en
accentuant la quantité de Magenta, nous obtenons progressivement
des ocres rouges et la terre de Sienne Naturelle. Remarquez la
qualité de ces couleurs infiniment pures puisque fabriquées sans
adjonction de blanc ou de noir !
Pour obtenir maintenant des terres plus foncées, il
convient de reprendre le vert de base et de lui ajouter à la fois
du Magenta et du Cyan. Attention surtout en ce qui concerne le Cyan
il convient d'effectuer vos mélanges en prenant de très faibles
quantité de peinture. Les couleurs obtenues vont de la terre de
Sienne brûlée à la terre de Cassel en passant par une grande
quantité de terres dont le rouge de Pouzzoles, la terre d'Ombre
naturelle, la terre d'Ombre brûlée, le brun Van Dyck etc.
Pour le débutant, les violets et ces dernières
couleurs sont les plus difficiles à obtenir. Un peu d'entraînement
et l'aide d'un nuancier vous permettront rapidement de fabriquer ces
couleurs.
Pour le Noir, comment peut-on le fabriquer ?
D'abord, il n'existe pas un Noir mais des noirs. Le
noir tel qu'il sort du tube ne devrait pas être utilisé tel quel,
mais toujours mélangé avec d'autres couleurs. Le noir en tube ne
sert que pour composer l'accord harmonique à un ton, appelé aussi
"gamme mélodique", surtout utilisé dans la publicité.
Certains fabricants appellent justement le noir de leur gamme
"noir inerte". Tous les noirs que nous fabriquons ont un
avantage incontestable par rapport au noir tel qu'il sort du tube :
ce sont des noirs chauds.
Il nous suffit de savoir qu'il existe 2 grandes
variétés de noirs : les noirs à tendance bleue et ceux à
tendance verte.
Pour fabriquer les premiers, nous allons partir du
violet. Le violet le plus foncé que nous pouvons obtenir par
mélange de Cyan et de Magenta. A ce violet foncé, nous ajoutons
une pointe infime de... jaune primaire. C'est le seul cas où la
couleur jaune primaire qui éclaircit toutes les couleurs, va, au
contraire, foncer notre violet pour en faire un noir. Ceci
s'explique par le fait que le jaune primaire est la complémentaire
du violet et que 2 complémentaires, par mélange, donnent du
noir. Si vous obteniez un résultat différent, cela viendrait du
fait que les primaires que vous utilisez ne sont pas les vraies
primaires. Ceci est un moyen facile de vérification des
primaires... et de la théorie des complémentaires selon
Itten !
violet
foncé
jaune
primaire
noir |
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Pour fabriquer la seconde variété de noir, à
tendance verte, nous partons du vert émeraude, couleur à laquelle
nous ajoutons une terre d'Ombre brûlée :
vert
émeraude
terre d'Ombre
brûlée noir |
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Avantages des primaires
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Rapidement, vous constaterez que l'utilisation des
primaires possède de nombreux avantages.
Nous n'avons jusqu'ici employé que les seules
3 primaires : jaune, Magenta et Cyan. Avez-vous compté le
nombre de couleurs différentes que nous possédons maintenant ?
Fort belle palette n'est-ce pas ?
Avez-vous également remarqué la qualité de ces
couleurs, infiniment plus pures puisque fabriquées sans adjonction
ni de noir ni de blanc ? Ce sont ces couleurs qu'utilisent les
figuratifs modernes. Ce sont elles qui donnent des tableaux colorés
aux tons forts cependant empreints d'une grande harmonie. Elles
encore qui traduisent le mieux les paysages méditerranéens.
Mais l'utilisation du blanc et du noir pour créer
des couleurs désaturées ou rembrunies n'est pas prohibée.
Calculez de combien de couleurs vous disposez alors avec
5 tubes ! Pour peindre dans la nature c'est l'idéal ! Le
nombre restreint de tubes permet aussi l'achat de peintures de très
haute qualité.
Autre avantage, sans doute le plus important. Comme
c'est vous seul qui saturez ou rembrunissez vos couleurs vous avez
peu de raison de tomber dans le redoutable "piège des
gris" que tous les peintres ont un jour connu, piège dû en
grande partie au fait que de nombreuses couleurs sortant des
catalogues des fabricants reçoivent l'adjonction d'une charge de
noir ou de blanc. Désormais, certains fabricants font même de la
limitation des couleurs saturées une publicité pour certaines de
leur gamme de peinture (cf. "Fine" de Lefranc & Bourgeois).
Enfin, autre avantage : l'habitude de la
pratique des primaires permet en restauration de refaire un ton à
l'identique sans hésitation, d'où un gain de temps notable en ce
qui concerne les retouches.
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Conclusion
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N'hésitez donc pas à peindre avec les primaires,
le noir et le blanc. C'est non seulement possible mais les
satisfactions que vous allez en retirer valent bien le petit effort
qu'elles nécessitent au départ. |
Deux mises au point supplémentaires :
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Pratiquement... pas si
évident de trouver ses primaires !
En ce qui concerne les pigments primaires,
ceux-ci sont, par nature, peu couvrants et pour certains
transparents. Cela ne pose pas de problème pour l'imprimante
qui travaille comme un aquarelliste, en utilisant le blanc du
papier, mais en pose de sérieux en revanche pour la peinture à
l'huile qui est faite de nombreux "repentirs" qui
nécessitent des peintures couvrantes. Pour remédier à cela les
fabricants mettent donc une importante charge de blanc avec les
pigments primaires, charge qui permet d'obtenir des couleurs
semi-opaques. Cela présente un inconvénient majeur : dès les
premiers mélanges, on tombe dans le fameux "Piège des
gris" et avec lui... terminée la pureté des tons ! Ceci
permet d'expliquer la difficulté de trouver des primaires pures et
convenables.
Donner des noms de fabricants est d'autre part
très délicat, d'une part parce que je n'ai pas utilisé toutes
les primaires de tous les fabricants, d'autre part la marque
affectionnée par l'un peut être rejetée par l'autre pour diverses
raisons : nature de la pâte etc. la suite n'engage donc que
moi et on me pardonnera de n'y donner qu'une opinion !
OLD HOLLAND
dans sa gamme Classic Oilcolours et Masters Quality possède
- le jaune N°10
- le rouge primaire N°181, mais sous des appellations différentes :
Cheveningen Yellow Lemon pour le jaune et Old Holland Magenta pour
le rouge.
- le bleu Old holland Cyan Blue n'est pas une vraie primaire (PB29-PB28-PB15-PW4-PW6).
L'adjonction de blanc et de PB28-29 pour l'opacifier le rend
inutilisable pour obtenir des violets de qualité.* TALENS
Talens Amsterdam
- posséde un jaune PY3+PY74+PW4 correct malgré l'adjonction de blanc
sous l'appellation Jaune Cadmium clair Azo
- ne possède pas le rouge primaire
- possède un bleu céruléum phtalo composé de PB15 et de PW4 qui ne
permet pas l'obtention de violets de qualité
Talens Van Gogh
- Jaune cadmium clair azo comme ci-dessus
- pas de rouge primaire
- bleu céruléum phtalo PB 15 PW4 comme ci-dessus
Attention : dans le dépliant N°9 ce bleu devient Bleu Céleste !
La différence entre ces gammes tient simplement à la charge
pigmentaire plus importante.
Talens Rembrandt
- Jaune talens Citron correct, malgré la charge de Blanc
- Rouge absent
- Bleu de sèvres: PB15-PW4 qui ne permet pas l'obtention de violets.
Talens-H2OIL
- Jaune azo citron:charge de blanc trop importante PW4-PY3
- pas de rouge
- Bleu céruléum phtalo PB15:4 - PW4 charge trop importante conduit à
des violets douteux. Peinture de très très mauvaise qualité! ... LEFRANC-BOURGEOIS
Huile extra-fine
- Jaune des Flandres n°178 PY3 correct
- Violet permanent PR122 n°631 malheureusement transparent !
- Bleu espace PB 15 trop chargé en blanc conduit à des violets sales
- Bleu hortensia 038
Fine
je n'ai pas réussi à avoir la composition des primaires.
Louvre
- jaune 153
- Rouge 441
- Bleu 063 encore une fois ce ne sont pas de vraies primaires !
FERRARIO
C'est le fabricant qui respecte le mieux l'appellation primaire dans ses
gammes Van Dyck et Idroil. Personnellement, je préfère
IDROIL car la charge pigmentaire est de bien meilleure qualité.
WINSOR et NEWTON
En Alkydes
Les approchantes :
- Jaune de Londres
- Bleu de phtalocyanine
- Rose permanent (Je les ai utilisées, violet de qualité difficiles à
obtenir)
En huile
- jaune Cadmium citron 087
- Rose permanent 502
- Bleu phtalo 516
LUKAS
Lukas Basics
- jaune N°556
- rouge 568
- bleu 572
Je ne peux rien dire au sujet de la qualité de ces peintures allemandes
Lukas Studio
- Jaune primaire 210
- Rouge primaire 250
- Bleu primaire 320 ROWNEY
- Jaune citron N° 651
- Magenta permanent 409
- Bleu de phtalo 142
Je ne les ai pas essayées
SCMINCKE
Normal
- Jaune brillant 208
- Magenta 330
- Bleu hélio 450
je ne les ai pas essayées non plus en primaires
Reste la solution que je préconise : Acheter les PIGMENTS et
fabriquer des Alkydes au fur et à mesure des besoins.
- Pour ce qui est de la fabrication des verts : pas de gros problèmes
- Pour les oranges non plus !
- Mais en ce qui concerne la gamme des Violets c'est autre chose. |
Pourquoi les primaires que nous conseillons dans le
texte de l'article sont-elles des mélanges ?
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En ce qui concerne le problème des primaires plus
primaires le problème n'est pas simple non plus. En effet, le propre
d'une primaire est justement de posséder un ton juste, sans la moindre
tendance vers une autre couleur :
- Rouge sans tendance vers l'Orange ou le Bleu
- Jaune sans tendance vers le Vert ou l'Orange
- Bleu sans tendance vers le Rouge ou le Vert
- Le pigment rouge PR 122 Quinacridone possède cette
propriété.
- En revanche, il n'existe pas de pigment Jaune et de pigment Bleu qui
possèdent réellement cette propriété. C'est donc par mélange
pigmentaire que l'on approche du résultat.
- En ce qui concerne le Jaune, le problème est moins grave car son
pouvoir de coloration est 8 fois moindre que celui du Bleu... seule
l'expérience permet d'affirmer que le jaune PY 3 (stable di-arilyde),
le jaune Azo PY 74 ou le mélange des deux donne de bons
résultat.
- le Bleu : le problème est identique... on obtient de bons
résultats avec PB 15 (phtalocyanine) et PB 16 (phtalocyanine).
L'expérience seule permet d'affirmer que les verts obtenus par mélange
de tel jaune et de tel bleu sont d'excellente qualité. Pour le Bleu le
problème est vite vu : par mélange du rouge on obtient une gamme
de violets, seul PB15 ou PB15+PB16 peut conduire à pouvoir obtenir tous
les violets possibles.
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(*nous avons reçu le 27 septembre 2002 le message
suivant de Jan Dirk Snaauw -
jdsnaauw@hetnet.nl :
Old Holland Classic Oilcolours possède un bleu primaire:
35. scheveningen blue PB15
223. old holland blue PB15 226.
scheveningen blue deep PB15 229.
blue lake PB15 232. caribbean blue PB16
henri peyre - www.meublepeint.com)
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