Le mobilier insolite de style grotte

catherine auguste
par Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités

 

Un commentaire du livre
Meubles Insolites de Bruce Newman et Alastair Duncan,
Edition Flammarion, 1989













le tête-à-tête fut une forme de canapé relativement répandue à la fin du XIXe siècle,
les exemples de cette forme en style grotte sont en revanche rares.
Ce tête-à-tête reprend la forme et les caractéristiques du siège nautique présenté ci-dessous.

Bruce Newman nous offre un aperçu séduisant sur les meubles insolites par la richesse de ses illustrations. L’insolite de ces meubles réside dans le fait que les formes, les piétements, les structures d’encadrement ou les matériaux de gainerie sont extraits de l’imaginaire de la Forêt Noire, de l’univers de la chasse ou du monde de la grotte et de la mer. Ce n’est plus un pied galbé de style Louis XV qui soutient le fauteuil mais une corne de bovidés. De même l’assise du siège s’est transformée en coquille aplatie. La plupart des meubles insolites ont été imaginés et fabriqués au XIXe siècle. Parmi les pionniers de l’insolite on pourrait citer le roi Louis II de Bavière (1845-1886), admirateur du compositeur Richard Wagner et qui fit construire des châteaux de styles éclectiques.

Nous consacrerons cette page à l'un des genres déclinés dans l’ouvrage, le mobilier de style grotte où coquillages et faune marine se mêlent, en gardant le style « jeu de piste » abordé par l’auteur : à quand remonte le goût de la coquille ? Quelles sont les caractéristiques d’un meuble grotte ? Où ont-il été fabriqués ?…

Histoire du goût pour la coquille

Dans l’Antiquité la coquille est symbole de l’amour, c’est d’une coquille que Vénus/Aphrodite, déesse de l’amour et de la fertilité, va naître. Elle est censée protéger des mauvais sorts et des maladies.

Au XIIe siècle, Compostelle s’approprie la coquille, les pèlerins rapportent des coquilles dont les deux valves représentent les deux préceptes de l’amour : aimer Dieu plus que tout et son prochain comme soi-même.

Aux XVe et XVIe siècles, les progrès de la navigation font découvrir de nouveaux coquillages tropicaux ; la science conchyliologique devient un secteur autonome de la biologie marine.

Des orfèvres de la Renaissance maniériste produisent des chefs-d’œuvre inspirés des coquilles, notamment des nautiles. Les coquillages deviennent tabatières, aiguières ou décors de cabinets.

Une des curiosités architecturales du XVIe siècle est la Casa de las conchas à Salamanque où 400 coquilles Saint-Jacques sculptées en bas-relief ornent la façade extérieure.

 


 

Un exemple d'orfèvrerie de la renaissance : nautile monté sur une armature d'argent doré,
vase à bec de la collection des Médicis, XVIe siècle, Museo degli Argenti, Florence

   

Le XVIIe siècle lui confère une place d’ornement royal grâce à la popularité des rois Louis XIV et Louis XV. Le style rococo, qui dérive de la rocaille et du baroque, est un mélange de courbes asymétriques qu’incarnent rochers et coquillages

Au XVIIIe siècle l’Europe, surtout la France, l’Angleterre et l’Italie, s’amourache des folies : pavillons, pagodes et grottes sont dispersés dans les jardins. La coquille et le coquillage restent un motif décoratif utilisé en orfèvrerie et en ébénisterie.





 

 

 

ci-contre : le motif de la coquille sert de vasque et d'applique au bénitier de style rococo, gravure de Joseph Limpach d'après un dessin de Joan Giardini

 

Les éléments de base du mobilier style grotte


Le mobilier de grotte se compose essentiellement de 4 éléments de base :

- Les coquilles Saint-Jacques

- Les hippocampes ; certaines représentations les font ressembler à des dragons de mer ou les font-ils s’apparenter à de simples têtes de chevaux.

- Les dauphins qui sont souvent représentés comme des poissons à grosses têtes rondes

- Les conques de Triton ; dieu marin grec souvent représenté en train de souffler dans une conque pour annoncer son arrivée ou calmer la mer agitée. Le nom triton a été utilisé pour désigner quelques mollusques comme la conque

Malgré des ajouts variables de crabes, d’étoiles de mer, de moules et diverses conques ou coraux, il semble se dégager une uniformité générale de ce style.
Ceci laisse à penser que le mobilier de grotte aurait été imaginé et produit par un nombre restreint d’ateliers de fabrication.

 

Ce siège nautique s’écarte en peu des conventions habituelles par son dossier ouvert, constitué d’un poisson étiré de part et d’autre tel un serpent qui s’avance jusqu’à former le bras du fauteuil.
Au centre du dossier, une sculpture évocation d’une vague se termine en hippocampe.
Par contre l’assise en coquille plate et le piétement sculpté en conque de triton ouverte sont assez semblables aux chaises italiennes du style grotte fabriquée au XIXe siècle.

D’où vient ce type de mobilier ?

Suite à ses investigations, Bruce Newman, l’auteur de Meubles insolites, émet l’hypothèse que le mobilier de style grotte ne peut être attaché au XVIIIe siècle. Plusieurs arguments sont mis en avant :

-         La conception et la fabrication de ce mobilier sont rudimentaires.

-         Les constructions sont souvent bancales ce qui est l’opposé des exigences des ébénistes de grand siècle.

-         Les assemblages ne voient guère de chevilles de bois mais bien davantage de simples vis ; les têtes de vis sont souvent encastrées et dissimulées par un enduit de finition ; cette dissimulation permet de croire que les vis sont d’origine.

-         Les défauts de chevillage, donc de solidité, sont compensés par des entretoises de renfort sous les sièges.

-         L’examen de près révèle que certains éléments ont pu être tournés à la machine.

  

D’autre part les deux modèles les plus courants du mobilier grotte sont le confident et le rocking-chair. Ces deux formes ne furent inventées qu’après 1800.

La majorité de ces meubles recevaient une finition de feuilles argentées, rehaussées d’une couche brillante d’or brun pour donner un peu de relief aux cannelures des coquilles. Ce procédé donnait une irisation proche de celles de ormeaux.

Mais d’où ces meubles étaient-ils fabriqués ? Pour Newman, Venise ( ?), cité des eaux, riche en épopée maritime, est sans soute la meilleure piste. Deux fabriques fonctionnaient dans la deuxième moitié du XIXe siècle : celle d’un dénommé Pauly en activité jusqu’en 1930 et celle d’un Rémi qui signait ses meubles d’une plaque métallique.

Ci-contre, rare vitrine d’inspiration marine.

Elle est attribuée à la firme vénitienne Pauly et Cie. Très peu d’exemplaires de ce modèle ont survécu.

Le corps est sculpté en imitation de branches coralliennes ornées de nautiles, d’hippocampes, de coquillages, le dessus est surmonté d’un serpent de mer, de conques et d’étoiles de mer. La vitrine prend appui sur quatre pieds en forme d’anguilles qui reposent sur une plate-forme transversale cannelée comme une coquille Saint-Jacques. Les pieds terminaux sont sculptés dans le style rocaille. La couleur argentée de la finition fait office de simulacre des irisations de la nacre ; quelques touches de bleu, de rouge et de brun font ressortir les éléments sculptés.

 

Vous retrouverez toutes les illustrations (présentées dans cet article) et les commentaires de Bruce Newman dans son livre
Meubles Insolites de Bruce Newman et Alastair Duncan,
Edition Flammarion, 1989

Un autre livre sur la passion du coquillage dans le décor

Coquillages et rocailles : la conchyliomanie
de Patrick Mauriès, Editions Thames & Hudson, 1994
112 pages abondamment illustrées

 

   






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