Interview de Franz Fenris G., Poterie du miroir aux prêles
Franz FENRIS G.
Poterie
du Miroir aux Prêles
12 rue du Manoir
F-76450 CANOUVILLE
tél. 33 (0)2 35 97 89 16 |
Une interview de
Franz
FENRIS G.
Bien que la terre soit sa matière de
prédilection, nous sommes très loin du mobilier, ces plats accueillent une riche interprétation
décorative. Une nouvelle Renaissance à découvrir...
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1/ Franz, aucune de vos pièces n’échappe au motif, est-ce à dire que
vous êtes un militant de l’ornementation ?
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Votre question me touche. Je n’ai pas envie de
vous dire « oui », mais plutôt de crier « OUI, OUI, OUI et OUI ». Je
fais sans doute partie de ces âmes qui souffrent de ces surfaces
nues imposées par le minimalisme au XXème siècle, le Bauhaus en
tête. Je plaide en effet pour la réhabilitation du DECOR. Décor de
surface, dessiné, peint, incrusté, marqueté, damasquiné… peu
importe, mais que toutes les choses de la vie créées par l’humain,
du dé à coudre à l’immeuble, soient le prétexte à l’embellissement
par l’existence de zones, partielles ou intégrales, où règnent le
raffinement et l’élégance de motifs choisis, soignés, répartis de
façon équilibrée sur les surfaces, motifs qui créent le STYLE.
Tondo de grès gris clair non émaillé
réalisé par moulage de pièces en bronze.
L’aile présente un décor de grotesques, le centre des rinceaux de
feuilles d’acanthe. Ø = 37 cm
Décor dessiné, dis-je, mais aussi décor en
relief, l’assise des plinthes, bases, pieds et piédouches, le
soulignement des moulures et autres tores, astragales, cavets,
doucines et scoties, le rythme des cannelures et godrons, le
couronnement des corniches, entablements, frontons et dômes, ou
encore l’animation des surfaces par le jeu entre ronde bosse, et
haut, moyen ou bas reliefs. Bref, l’architecture, qui crée elle
aussi le style. Et cette notion de style implique chez moi un lien
avec l’HISTOIRE des ornements : un style fort, avec de puissantes
racines, et non pas les arabesques aux bouclettes molles (depuis
Matisse peut-être) et les grandes fleurs abâtardies qui ont envahi
le « design » d’aujourd’hui.
Ma quête est de trouver un juste équilibre entre parties décorées
indispensables et parties nues, mais aussi entre les différentes
zones de haut relief, de bas relief, dense ou aéré, et les zones de
repos. Or, si vous supprimez à la fois les ornements picturaux et
plastiques, cette recherche d’équilibre n’est plus possible
puisqu’il ne reste que la matière, parfois belle, mais sans âme,
autoritaire, voire tyrannique.
Pot tourné à motifs d’entrelacs incrustés en terre
noire sur fond de grès blond nu.
Décor de rapport en grès gris clair pour le pastillage de
fleurettes, les coquillages,
et les mascarons grimaçants sur fond d'enroulement de cuir et de
coquilles.
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2/ Le répertoire décoratif qui réunit toutes vos faveurs est
celui de la Renaissance, pourquoi ?
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Je ne sais pas. C’est un goût personnel
excessivement marqué depuis de nombreuses années. Il se trouve que
les objets et bâtiments qui m’attirent se révèlent presque toujours
pouvoir être datés du XVIème siècle. J’y sens justement une forme
d’équilibre et de force que j’ai du mal à analyser. Dans le
répertoire des ornements, lesquels, s’ils ne viennent pas d’Orient
(mauresques et entrelacs), ou ne sont pas de pures productions
maniéristes (cuirs découpés et certains grotesques tardifs),
puisent largement dans le répertoire de l’Antiquité Romaine, mon
goût va, pour l’instant, plus vers l’élégance des mauresques et
entrelacs que vers l’inclination toute Renaissante pour les
monstruosités (l’archiduc d’Autriche Ferdinand II de Habsbourg au
château d’Ambras).
Assiette "François Ier". Grès nu
blond incrusté de terre noire avec motifs de mauresques
en double boucle sur l'aile et motifs de quatre-feuilles sur le
bouge. Ø = 24,7 cm.
Par ailleurs, l’étude que je fais des arts
décoratifs à la Renaissance depuis quelques années m’a fait voir un
caractère qui, s’il est vrai à d’autres époques, est encore plus
marqué à la Renaissance. Les exemples les plus représentatifs d’un
style trouvent leurs destinataires parmi les plus puissants : la
Renaissance est le fait des princes ; l’art populaire ne comportait
quasiment jamais de décor à cette époque. L’abondance du décor
prouvait la puissance du prince : jamais peut-être en Occident
a-t-on vu les objets être inondés de décor sur toutes leurs
surfaces comme à la Renaissance. En un mot, la Renaissance est aussi
celle de l’ornementation.
Pot à deux anses en grès gris clair
non émaillé.
Décor d'estampage en creux (entrelacs) et en relief (anses, boutons
et mascarons léonins en colère). H = 10 cm.
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3/ De 2005 à aujourd’hui, les motifs semblent prendre du relief.
Vous appliquez des rosettes, des mascarons toujours hérités de la
Renaissance. Pour faire plus simple : vous passez du travail de
peintre-ornemaniste à celui de sculpteur-architecte ?
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C’est une autre façon de présenter cette
ambivalence de ma personnalité esthétique. Je ne vois pas
d’opposition, je suis à la fois mu par le moteur de l’ornemaniste et
par celui du sculpteur. Mais je ne puis hélas me dire ni l’un ni
l’autre pour rester honnête puisque, autodidacte, je n’en ai ni la
formation ni la compétence. Je ne suis qu’un esthète.
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Pot "nid
d'abeille" en grès gris clair nu. Chacune des facettes a
soigneusement été coupée à la main. Les anses reprennent un
motif couramment présent sur les pichets dits "Schnabelkannen"
produits à la Renaissance à Siegburg.
Des rosettes estampée et un tour de cordelette complètent le
décor.
h = 13,3 cm.
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Plat au
lézard en porcelaine incrustée de motifs d'entrelacs en
terre noire.
Ces motifs sont repris d'après ceux couvrant les pièces de
la première période de production de la céramique dite de
Saint Porchaire. Le lézard, clin d'oeil à Bernard Palissy et
aux autres adeptes du style rustique caractéristique du XVIe
siècle, a été modelé en terre blonde et collé à l'émail sur
son support.
Ø = 31,5 cm. |
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4/ Certaines pièces portent un nom comme le plat « Vinci ».
Est-ce pour rendre hommage à vos inspirateurs ?
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Rendre hommage, le terme est un peu fort.
Disons que, sachant d’où me vient l’idée de m’essayer à tel ou tel
type de décor, c’était pour moi une façon de citer mes sources. On
ne rend pas hommage à ce que l’on connaît mal. Je ne suis pas un
spécialiste de Leonardo. Je dirai plutôt que c’était pour moi une
façon de lui dire merci… à moins que ce ne soit à Dürer qui avait
recopié ces dessins d’entrelacs circulaires de Léonard et sans doute
contribué à les faire connaître.
Plat creux « Vinci ». Pièce de 2005.
Grès décoré d'entrelacs au jus d'oxydes au moyen d’un fin pinceau
sur l'avers
et émaillé blanc pierreux sur l'envers. Ces motifs d'entrelacs de
construction circulaire sur fond noir se réfèrent aux dessins
qu'Albrecht Dürer et Leonardo da Vinci ont exécutés au tournant du
XVIe siècle. Ø = 26 cm.
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5/ Vous travaillez en contraste : motifs peints en noir sur fond
blanc, ou bien mascarons en relief que seule une lumière permet de
révéler. Jugez-vous que la couleur viendrait perturber la lecture de
vos céramiques ?
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Il faut faire des choix. Que le décor soit
peint ou incrusté, ce qui compte, c’est le jeu du dessin – a
fortiori pour un décor non figuratif. Un équilibre est déjà
normalement atteint par l’agencement des lignes, droites ou courbes,
et la présence, forte ou discrète, de fleurons et feuilles stylisées
(par exemple le lotus et les feuilles type roumî pour les
mauresques). Ajouter une information chromatique forte viendrait
s’affronter, se placer en concurrence avec le dessin de façon
inutile, et surtout destructrice. Néanmoins, mes blancs ne sont pas
toujours blancs : ils sont souvent teintés de gris, de blond, de
chamois ou même d’orangé (c’est la flamme qui décide alors) ; mes
noirs sont parfois des bruns, voire des ors. Ce qui apparaît comme
du noir et blanc couvre en fait toute une palette de teintes
naturelles. Pour continuer sur ma lancée un peu « réac » de tout à
l’heure, je dirai que je fuis les couleurs criardes et improbables
des designers d’aujourd’hui, sans parler du dictat insupportable du
« fluo » !
Je suis extrêmement sensible à la couleur. Or,
la couleur, en céramique, c’est souvent l’émail. La couleur dans le
monde des glaçures nécessite souvent une vie de recherche. Je ne
veux pas faire n’importe quoi. J’ai ainsi, dans une large mesure,
laissé tomber l’émail et présente des grès nus, bruts, à la suite
des productions Renaissance de Siegburg.
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Grès
allemand non émaillé, orné d'un décor d'applique de fines
cordelettes,
poursuivant ainsi une habitude médiévale de décoration des
panses de pots.
Ces rythmes verticaux forment côtes ou facettes comme autant
de compartiments au centre desquels est placée une rosette,
à l'exception d'une case qui, quant à elle, accueille une
tête de diablotin. h = 9,9 cm. |
Assiette "Flötner"
en grès porcelainique incrusté de terre noire et présentant
sur l'aile un décor de mauresques dans le style de ceux
diffusés par Peter Flötner au XVIe siècle, à la suite de
Jacques Androuet du Cerceau.
Au centre, décor radié de fleurs de lotus stylisées et de
petites plantes.
Ø = 23,7 cm. |
Et puis, dans ce monde où, depuis le cinéma et
la télévision, la couleur est dite rendre les choses plus vivantes,
plus modernes, plus attrayantes, plus actuelles, plus jeunes, et
comme présentant un progrès sur le stade du noir et blanc, on
trouvera sans doute que je suis resté à la photo sépia. Certes, mais
c’est peut-être parce que je suis justement très touché par la
couleur que je la respecte et m’en prive en me disant,
métaphoriquement, qu’avant de colorier, il faut apprendre à
dessiner… Il m’est arrivé de toucher au soufflage du verre, en
amateur, s’entend, et le verre de couleur est cher : il est logique
dans ce cas d’apprendre à cueillir, centrer, souffler, trancher,
etc., avec du verre incolore, avant de gaspiller de beaux rouges !
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6/ Ne recherchez-vous pas également un contraste entre la
délicatesse des motifs et la puissance des formes de vos céramiques
?
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Je ne sais pas si mes formes sont puissantes ;
elles ne sont que le reflet de ce que j’aime ou de ce que mes
limites techniques me permettent d’atteindre. Je ne recherche pas de
contrastes entre motif et forme, quoique, si vous les voyez, ils y
soient sans doute. Pour les décors en relief, je crois même que le
décor vient compléter la forme et non s’opposer à elle. En revanche,
il m’est arrivé de cultiver le contraste, par exemple entre l’avers
et le revers d’une assiette, entre la richesse « cultivée » de
motifs appliqués à une surface brute (douce à l’œil et un peu rêche
au toucher) et la somptuosité d’une surface émaillée aux cendres
pures légèrement sous cuites, avec son brillant transparent,
olivâtre et profond, doux, sans décor, cerné de zones réfractaires
très âpres, abrasives, gris clair, minérales, pierreuses (richesse «
naturelle »). |
7/ Enfin quelle technique utilisez-vous pour travailler des
motifs aussi fins que les mauresques ou les grotesques ?
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Au début, j’utilisais le pinceau très fin pour
peindre mes mauresques au jus d’oxydes sur une terre nue, verte ou
dégourdie. Mes compositions décoratives sont toujours des
improvisations. Je trace une série de cercles sur la surface à
décorer, et je les « remplis » peu à peu au moyen de volutes tracées
à main levée. Les cercles-repères sont réalisés à l’aide de
matériaux qui ne paraîtront pas après cuisson bien sûr. La
composition est toujours paire et symétrique par rapport à un jeu
d’axes qui passent par le centre du dessin. Le vocabulaire est tiré
des planches de Francisque Pellegrin, Jacques Ier Androuet du
Cerceau, Peter Flötner pour la plus grande part. La nature et la
place des plus gros fleurons sont déterminées en même temps que les
jeux de lignes de la construction. Les motifs plus petits et les
feuilles sont ajoutés en dernier en tentant de parvenir à une
composition la plus homogène possible. Pour ajouter chaque feuille,
le sens de croissance du végétal est toujours respecté.
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Plat "Iznik" en grès blond
rosé décor aux oxydes métalliques de mauresques
ottomanes appliqué au pinceau.
Avers nu ; revers émaillé vert olive aux cendres. Ø = 31 cm |
Assiette à
décor central de mauresques.
Porcelaine incrustée de terre noire. Ø = 24 cm |
Depuis 2006, j’ai laissé tomber le pinceau pour
me pencher sur les moyens de réaliser une incrustation du décor. Le
résultat est à peu près identique, mais le travail est extrêmement
différent. Les fleurons et feuilles propres au lexique des
mauresques ont été réalisés en positif en terre, comme des tampons,
au moyen d’un porte-plume. Une fois secs, ils ont été cuits à 1000°
C. Le décor, dont la construction reste la même, est donc estampé
sur une feuille de terre blanche molle. Les empreintes des petits
tampons sont reliées par un réseau de lignes et spirales effectuées
en creux à main levée. Tout le décor en creux est rempli de terre
liquide (engobe) de couleur sombre, que je pousse au font de chaque
petite pointe de feuille au moyen d’un très fin pinceau pour ne pas
y emprisonner de bulles. Une quantité suffisante doit être versée
pour compenser le retrait important de l’engobe lors du séchage. Le
motif se trouve alors largement beurré. Après séchage partiel du
support et de l’engobe de rapport, je procède à un arasement
excessivement délicat en coupant de très fins copeaux pour retrouver
le motif. Si j’ai la main un peu lourde, pas de repentir possible.
Pourtant, je n’ai rien inventé. On trouve des carreaux de pavement
incrustés en deux tons dans les églises du nord de la France et en
Angleterre depuis le XIIème siècle. Certes, les motifs sont bien
moins fins, mais la méthode est semblable. C’est quand j’ai
découvert les céramiques dites de Saint Porchaire, ces pièces
d’exception, rarissimes, fabriquées à l’intention des princes de la
Renaissance française, totalement incrustées en noir et blanc, que
j’ai décidé d’aller dans cette direction.
Côté grotesques, je n’ai pas jusqu’ici
réellement construit de décor en utilisant ce langage. Je n’ai fait
que réaliser des emprunts tels visage de putto joufflu, mascaron
barbu ou léonin, amours, têtes de faunes et chutes de fruits, mais
peu de monstres, d’architectures arachnéennes…
Mes emprunts, comme
vous l’avez remarqué tout à l’heure, sont utilisés en moyen relief,
estampés dans des petits moules faits moi-même, et appliqués à la
poterie sans contraste de couleur. Je pensais leur usage pour
l’instant anecdotique sans me rendre compte qu’ils avaient pris de
plus en plus de place dans ma production.
Franz FENRIS G.
Poterie
du Miroir aux Prêles
12 rue du Manoir
F-76450 CANOUVILLE
lemiroirauxpreles@orange.fr
tél. 33 (0)2 35 97 89 16
www.lemiroirauxpreles.fr/ |
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