Le Chevalet du peintre évoque un dialogue
allégorique de la Peinture.
Premièrement par les aspects de sa mise en
forme. En faisant le choix d’un chantourné, Forbera accentue la
matérialité d’un coin d’atelier. Dans cette fausse réalité il
manquerait la présence du tabouret du peintre. Puis pour parvenir à
une plus grande illusion, l’artiste utilise le principe, cher au
trompe-l’œil, de la profondeur restreinte des objets : on distingue
la superposition des différents éléments par la présence d’un léger
ombrage comme celui de la palette sur les pieds du chevalet. Ainsi
l’ensemble des éléments juxtaposés dans une ambiance de travail, la
palette n’est pas nettoyée, et peints à l’échelle réelle trompe
véritablement l’oeil.
© musée Calvet, Avignon
il manquerait à ce chantourné le tabouret du peintre
© musée Calvet, Avignon
les estampes sont présentées comme des bases de travail
Deuxièmement sur les aspects intellectuels du
métier de peintre. Ici le dessin a la primauté sur la peinture : les
trois estampes sont présentées comme des bases de travail et
vaguement clouées. N’oublions pas qu’au XVIIe siècle, les
gravures circulaient dans toute l’Europe diffusant les modes de
représentations tant nordiques qu’italiennes. Le peintre recopie
l’Empire de Flore à partir de l’estampe qu’Audran en avait faite.
Forbera nous invite à une série de dialogue.
La copie à l’huile de Poussin est rendue
volontairement plate : la peinture est-elle en train de se faire ou
bien le peintre est-il médiocre ?
Le petit tableau, reprise de Téniers, ne
révèle-t-il pas le métier d’un peintre, le but à atteindre. Disposé
en avant de la copie maladroite de Poussin, il montre sa supériorité
picturale malgré ses petites dimensions ; supériorité qui lui fait
mériter un cadre.
Le choix de Pérelle, Leclerc ainsi que de
Téniers (tous contemporains de Forbera) n’est-il pas une façon
d’opposer leurs manières novatrices à celle plus classique héritée
de Poussin ?
Mais nous sommes bien trompés car le
Chevalet du peintre, d’un peintre semble-t-il plein
d’interrogations et de maladresses, est exécuté avec virtuosité par
Forbera : le rendu des estampes est particulièrement savoureux, à
vouloir les toucher pour s’assurer de leur réalité.
Cette œuvre en trompe-l’oeil de Forbera
illustre, par sa capacité d’illusion remarquable, les réflexions sur
la peinture de cette époque : notamment la fonction de restitution
de la nature par la peinture, faisant écho aux récits légendaires
entre Parrhasios et Zeuxis[viii].
[i] Audran, une famille de peintres,
graveurs et ornemanistes des XVIIe et XVIIIe
siècles dont Gérard II (1640-1703) est un des plus renommés
graveurs d’estampes. Il travaille pour Le Brun et grave
d’après Poussin ou Le sueur.
[ii]
Empire de Flore de Nicolas Poussin
(1594-1655), 1631, peinture sur toile, 131cm x 181 cm,
Dresde, Staatliche Kunstsammlungen Dresden.
[iii]
Sébastien Leclerc, dessinateur et
graveur du XVIIe siècle, graveur du cabinet de
Louis XIV et professeur à l’école des Gobelins.
[iv]
Gabriel Pérelle, dessinateur et
graveur du XVIIe siècle connu pour ses sujets de
paysage, actif sur Paris.
[v]
David Téniers, peintre flamand du
XVIIe siècle.
[vi]
Cornelis Gijsbrechts (1630-1675)
peintre flamand de natures mortes et trompe-l’œil actif à
Anvers et Copenhague.
[vii]
Dérive du verbe chantourner
signifiant découper suivant un profil curviligne.
[viii]
Zeuxis, peintre grec du Ve
siècle avant J.-C. considéré comme l’un des plus grands
peintres de l’Antiquité donnant l’illusion de l’espace.
L’histoire relate un jeu d’illusion entre Zeuxis et
Parrhasios. Zeuxis peint des raisins avec tant de vérité,
que des oiseaux vinrent les picorer. Parrhasios apposa un
rideau peint si bien représenté que Zeuxis voulût le faire
tirer pour voir son tableau. Il avoua alors la supériorité
d’illusion de Parrhasios capable de tromper l’homme qu’il
était alors qu’il n’avait trompé que des oiseaux.
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