par
Catherine
AUGUSTE,
Ancienne Elève des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités |
La chinoiserie est une pure émanation occidentale
qui s’inspire accessoirement des produits importés d’Extrême Orient
depuis la fin du Moyen Age. Ce style ornemental accorde davantage d’importance
à la fantaisie qu’à l’imitation des modèles existants à tel point qu’il
n’est pas rare de trouver mélangés des motifs empruntés aux
civilisations turques, indiennes ou chinoises accompagnés de quelques
singes sans provoquer la moindre hilarité. D’ailleurs, l’occidental du
XVIIe siècle ne fait pas de distinction réelle entre les différents pays
d’Extrême Orient, désignés sous le terme générique " les
Indes ". |
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Dès l’Antiquité, le goût pour les pays
lointains pouvait se satisfaire aisément en direction de l’Orient par
voie de terre, la traversée des océans par l’ouest n’étant pas encore
maîtrisée.
Rapidement la soie fut au centre d’un commerce
actif. Au XIIIe siècle, le Vénitien Marco Polo, passé au service de l’empereur
mongol Kubilay Khan, rapporte dans son " Livre des merveilles du
monde " des récits passionnés de ce lointain royaume. Ce livre,
maintes fois recopié, entretient un véritable mythe de l’Orient. Sans
aucun doute nombre d’aventuriers, en quête de richesse, contribuent au
développement de relations commerciales avec l’Orient autour de produits
comme la soie ou les épices et, de fait, de la chinoiserie.
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Quelques faits marquants favorisent
l'implantation européenne :
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l’image toujours plus forte d’une Chine
séduisante aux oiseaux colorés, aux animaux étranges et à la
richesse de fleurs et fruits véhiculée par quelques ouvrages. Ces
derniers sont rarement illustrés.
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en parallèle, des produits importés trop peu
nombreux, donc réservés à une élite princière.
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la découverte de la route maritime vers les
Indes par le Portugais Vasco de Gama en 1498.
Le Portugal joue alors un rôle important dans l’histoire
de la chinoiserie grâce au travail des jésuites installés sur les côtes
des Indes. En établissant des liens culturels, artistiques et scientifiques
avec la haute société indienne, chinoise ou japonaise, ils facilitent la
tâche des marchands. C’est à la fin XVIe-début XVIIe siècle que des
comptoirs commerciaux se mettent en place :
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Comptoir portugais à Macao en 1557
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Comptoir anglais à Istanbul en 1579
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Compagnie des Indes des Hollandais en 1602
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Compagnie des Indes des Français en 1664
Ces comptoirs sont de véritables lieux d’achat d’objets
de tous genres auprès de marchands indigènes. Mais les prix à la vente de
ces produits importés en Europe restent chers. C’est ainsi qu’on
cherche rapidement à les contrefaire pour satisfaire la demande
grandissante.
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Au XVIIe siècle, peu de livres peuvent aider les
artistes dans leur travail décoratif car la plupart sont de simples récits
de voyage non illustrés. Deux ouvrages ont alors un grand succès qui
dépasse les frontières : celui du Hollandais Jan Nieuhoff (1665) et l’autre
de l’Allemand Athanasius Kircher (1667). Ils ont la particularité de
présenter de nombreuses estampes sur l’architecture chinoise, découvertes
lors de leur voyage, parfois plus proches d’une chinoiserie de fantaisie.
Abondamment traduits et diffusés, ils sont une source d’inspiration
inestimable pour les ornemanistes inventifs.
De là, de nombreux recueils de modèles
fantaisistes et fort appréciés vont se multiplier. A cette multiplication
s’ajoute le désir d’imiter des matières encore
" inconnues " comme le laque ou la porcelaine. Les pays
les plus actifs sont ceux qui importent le moins : l’Italie, la
France, l’Allemagne et l’Angleterre où la chinoiserie a et aura le plus
grand impact.
Ainsi d’un art de cour, la chinoiserie va glisser
dans tous les arts décoratifs. On la retrouve dans l’ornement textile, l’architecture,
le mobilier, la tapisserie, la faïence et la porcelaine.
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Dès la fin du XIIIe siècle, les premiers soyeux
italiens s’inspirent des modèles orientaux : soleil, lune, étoiles,
montagnes, dragons…Au fil du temps, les motifs se succèdent ou se
juxtaposent en d’innombrables variations : fleur et fruit du
grenadier, lotus, chrysanthèmes, palmette…L’interprétation est déjà
là sans doute du fait d’une mauvaise connaissance de ces civilisations.
Sous le règne de Louis XIV, les soyeux français
mettent au point des motifs sinisants afin de lutter contre la concurrence
des importations des Indes et de la Chine : des motifs végétaux
entremêlés de parasols, de pagodes ou de pavillons de jardin, et de petits
personnages chinois occupés à des activités plus ou moins saugrenues, le
tout reposant sur des rochers en suspension. La fantaisie est poussée à
son extrême.
motif de chinoiserie
La chinoiserie présente l’avantage de s’insérer
parfaitement dans le système des arabesques et de grotesques ; plus
tard au XVIIIe siècle, elle deviendra le complément idéal des rocailles. |
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Une
nouvelle conception de meuble plus ostentatoire va voir le jour
suite à :
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l’arrivée de bois et de matières exotiques
propres à la marqueterie et aux incrustations,
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la séduction qu’opère la matière du laque,
vernis brillant connu depuis plus de 3000 ans en Extrême Orient, dont
on tente les premières imitations dès le XVIe siècle,
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l’emprunt du pied galbé qui doit son origine
aux meubles chinois de l’époque Ming.
Des générations de laqueurs se constituent dans
toute l’Europe. Au XVIIIe siècle, les Frères Martin à Paris mettent au
point un vernis, le vernis Martin, qui pousse à la perfection les
techniques du laque : marqueteries et incrustations sont protégées
par des vernis résistants.
En parallèle, les Vénitiens du XVIIe siècle qui
conservaient le goût du panache, élaborent la technique de la lacca povera
ou lacca contraffata. Il s’agit de composition d’images coloriées,
collées et vernies sur meuble. Exploitée par les artisans du meuble, cette
technique connaît un vif succès. Les marchands d’estampe font de belles
affaires, le meuble ainsi décoré passe dans le domaine des arts
populaires.
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chinoiserie Chippendale |
Le succès de la chinoiserie est lié :
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aux fantasmes de l’Extrême Orient,
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au goût de l’exotisme mis à la mode dans la
littérature ou les débats philosophiques,
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à une lassitude progressive des éléments
décoratifs classiques,
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à l’instauration de relations commerciales
dont la soie est le produit phare depuis l’Antiquité.
Ce style qui est une pure interprétation
occidentale des modèles des Indes, permet la juxtaposition des motifs et l’association
des styles (arabesques, rinceaux, grotesques, rocaille…).
Son déclin apparaît en France avec le
néoclassicisme naissant. L’Angleterre, au contraire, voit la chinoiserie
rocaillante s’affirmer dans le style Chippendale, de l’ébéniste Thomas
Chippendale (fin XVIIIe siècle).
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Les illustrations de cet article sont tirées de l'ouvrage "les plus
beaux meubles peints" de Florence de Dampierre et de différents
ouvrages de la collection Dover.
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Château de Chantilly, salon de la grande singerie
décoré par Christophe HUET en 1735 ; ensemble représentatif de l’association
curieuse des chinoiseries et singeries du XVIIIe siècle. Commande du Prince
de Condé, passionné d’orientalisme. Il existe également le salon de la
petite singerie.
Château de Champs , salon décoré par Christophe
HUET en 1747.
Musée des Beaux-Arts de Besançon, esquisses de
chinoiseries (huile sur toile) tirées des scènes de la Vie Chinoise de
François Boucher en 1740 : le mariage chinois, la foire chinoise, la
pêche chinoise…Parallèlement à sa carrière de peintre, Boucher fit des
recueils d’estampes sur des sujets chinois qui lui donnèrent une
notoriété internationale. Certaines de ses estampes ont été reprises par
la Manufacture de Tapisserie de Beauvais.
Musée Carnavalet, commode en laque aux pieds
galbés de Jacques Dubois en 1745 ; décors floraux empruntant des
éléments d’origine asiatique. Musée National de la Céramique de Sèvres et
Musée des Arts Décoratifs de Paris, nombreuses faïences aux motifs
orientaux. |
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