La toile de Jouy : un fabuleux répertoire de motifs l'exemple du Ballon de Gonesse

par Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités


La toile de Jouy évoque généralement une toile monochrome à fond blanc d’où se détachent le plus souvent des scènes champêtres mais aussi mythologiques, exotiques, de genres…En réalité les productions étaient beaucoup plus variées, incluant essentiellement des cotonnades à motifs floraux ou géométriques. Son origine a pour base la Manufacture Oberkampf installée à Jouy-en-Josas dans la vallée de la Bièvre à quelques encablures de Paris à partir de 1760.


Manufacture fondée par Oberkampf : le séchage des toiles - Huet (1807)

Aujourd’hui, vous pouvez visiter le musée de la Toile de Jouy qui relate cette aventure « industrielle » au château de l’Eglantine à Jouy-en-Josas. Mais avant de vous y rendre, faisons un petit retour dans le passé pour expliquer le rayonnement de cette toile imprimée et connaître son principal protagoniste, Christophe-Philippe Oberkampf.

1/ Les premières toiles imprimées : les Indiennes


Détail, planche 38 de l'Animal dans la Décoration.

 
  Bordures aux motifs fleuris de la Manufacture Oberkampf (Musée de la toile de Jouy, Jouy-en-Josas)

Dès le XVIIe siècle arrivent en Europe des toiles teintes ou parfois peintes, importées des Indes et dont les motifs sont obtenus par impression et non par tissage des fils de couleur. L’engouement est énorme du fait des couleurs vives, de la légèreté et de la fraîcheur de ces cotonnades. En réaction, les corporations nationales, notamment les soyeux lyonnais, se sentant menacés s’appuient sur le Conseil d’Etat pour en interdire l’importation en 1686 comme la production et l’utilisation en France. Malgré cette prohibition royale, les toiles imprimées continuent de circuler car des villes franches, comme Marseille, n’y sont pas soumises. Devenue impossible à gérer, la prohibition est finalement abolie en 1759. Dès la levée de l’interdit, l’impression sur étoffes se développe partout en France et à Paris dans les quartiers de l’Arsenal et des Gobelins là où Oberkampf est embauché dès son arrivée en France.

2/ La Manufacture de Jouy et Monsieur Oberkampf (1738-1815)

 

Christophe-Philippe Oberkampf, né en 1738 en Allemagne de grand-père et père teinturiers, part pour Paris en 1758 comme graveur et coloriste chez Cottin à l’Arsenal. Rapidement Antoine de Tavannes lui offre un poste de directeur dans une imprimerie d’indiennes qu’il monte à Paris.
Face à l’encombrement du quartier de l’Arsenal, le transfert de l’établissement est décidé en début 1760 à Jouy-en-Josas sur un site qui présente de nombreux avantages : une rivière, la Bièvre, pour les lavages successifs des toiles ; de grands prés pour étendre les toiles et les faire blanchir ; une proximité géographique aux marchés de la cour de Versailles et de la capitale.
Le 1er mai 1760 Oberkampf imprime sa première toile à Jouy-en-Josas.
En 1783, son établissement reçoit le titre de « manufacture royale ».
Ses compétences le font reconnaître par l’ensemble de la profession comme sa bienveillance auprès de ses employés.
En 1805, la manufacture emploie plus de 1300 ouvriers, un nombre qui traduit le succès des toiles de Jouy. La manufacture ferme définitivement en 1843 après 83 ans d’activité.

3/ Toiles de Jouy : techniques et motifs


Planche de bois gravée avec plombines, outil utilisé pour l'impression des couleurs sur coton au XIXEME


Motid des Bonnes Herbes de la manufacture d'Oberkampfi

Impression

De la préparation de la toile écrue aux motifs imprimés, le processus de fabrication est long.
Le coton arrive tissé à Jouy. Les principaux fournisseurs d’Oberkampf sont de Suisse, de France (Rouen, Beaujolais), et aussi d’Inde par l’intermédiaire des compagnies des Indes. L’achat de toile de qualité nécessite des sommes importantes.
Puis la toile est mordancée afin que les couleurs puissent se fixer sur le coton. Un bon mordançage conduit à une netteté parfaite du motif, de même que la nature du mordant influe sur la couleur finale.
Une fois le mordant appliqué, la toile est teinte en cuve ; le colorant se fixe alors là où le mordant a été déposé. Pour appliquer le mordant trois techniques sont utilisées :
- la planche de bois gravée en relief, à chaque couleur d’un motif correspond une planche de bois ; à titre indicatif, un bon ouvrier peut imprimer une trentaine de mètres en quatre couleurs, par jour
- la plaque de cuivre gravée en creux apparaît en 1770 à Jouy ; pour faire des demi-tons le graveur réalise un jeu de hachures sur la plaque ; les toiles imprimées à plaque de cuivre sont monochromes et la finesse de leur dessin s’approche de la gravure sur papier
- la machine à imprimer au rouleau de cuivre est introduite en 1797 ; elle permet d’imprimer jusqu’à 5000 m de tissu en un jour ; le rouleau est gravé en creux ; cette technique permet de travailler davantage les fonds entre les motifs.
Enfin, pour terminer, la toile est blanchie, séchée, lissée et parfois passée à la bille d’agathe pour lui donner un rendu brillant. Les pièces de tissu mesurent environ 21 m de long pour une largeur de 0,80 à 1 m de large.

Les motifs

Ils sont de deux sortes à la manufacture Oberkampf :
• Motifs floraux ou géométriques : le nombre de dessins créés s’élève à plus de 30000 motifs floraux ou géométriques pour l’impression à la planche de bois
• Scènes à personnages : 650 motifs en camaïeu pour l’impression à la plaque ou au rouleau de cuivre. Ainsi à Jouy, les toiles imprimées étaient essentiellement des toiles à motifs floraux ou géométriques destinées à l’habillement et le plus souvent utilisés jusqu’à l’usure. Alors que les toiles à personnages et scénettes que nous appelons «Toile de Jouy» aujourd’hui, étaient destinées à l’ameublement.

4/ Un exemple : le ballon de Gonesse


Expérience phisique de la machine aréostatique De Mrs. de Montgolfier Danonai en Vivarais, Répétée à Paris le 27 Aoust 1783 au Champ de Mars, avec un Balon de Taffetas enduit de Gomme Elastique de 36 pieds 6 pouces de circonférence rempli d'airs inflammable, par Mr. Robert, sous la direction de Mr. de Faujas de St. Fond, Et de Mr. Charles Profesr. de Phisique. Ce Balon après avoir parcouru 4 lieues dans les Airs en 3 quarts d'heure est tombé à Gonesse
Source Gallica, BNF


Allarme générale des habitants de Gonesse, occasionée par la chûte du Ballon Aréostatique de Mr. De Montgolfier
Source Gallica, BNF

 

Le ballon de Gonnesse : toile à la plaque de cuivre, imprimée pour la première fois en 1784 à la Manufacture Oberkampf :


(raccord sauté de 98 cm, largeur toile de 95 cm, actuellement Manufacture Charles Burger)

L’auteur du motif n’a pu être identifié ; les dessins préparatoires sont actuellement disponibles au Musée des Arts décoratifs de Paris.

Cette toile de Jouy illustre l’engouement pour les ballons et la conquête de l’air.

Plusieurs événements ont marqué l’année 1783 :

Premier événement : le 19 juin 1783 s’envole de Versailles un ballon gonflé à l’air chaud avec une nacelle suspendue habitée par un coq, un mouton et un canard

Deuxième événement : le ballon de Gonesse, sans voyageurs, est lancé le 27 août 1783. C'est un ballon gonflé à l’hydrogène, construit par les frères Robert et le savant Charles. Il  part du Champ de Mars à 17 heures. 45 minutes plus tard, il s'écrase sur Gonesse. A cette époque, s'élever dans les airs est un prodige et les Gonessiens n’ayant aucune connaissance des expériences précédentes vont céder à la panique. Cette même année 1783, le gouvernement distribue un avertissement au peuple garantissant le caractère inoffensif des ballons.

Troisième événement : le 1er décembre 1783, un ballon part des Tuileries et descend le même jour dans la prairie de Nesles, où il est  accueilli par les notables. En réalité la toile de Jouy évoque ces trois événements à lafois : le ballon de Gonesse n’était pas habité contrairement à ce qui est représenté sur la toile.

Sur la toile de Jouy on distingue quelques scènes :
- Au centre, le Champs de Mars derrière une haie d’arbres avec quelques spectateurs autour d’un bassin regardant le ballon dans le ciel :


- Juste au-dessus un groupe de notables ou de mondains salue les deux passagers de l’aéronef orné d’un médaillon aux fleurs de lys :

à gauche de ce groupe sur une autre scénette on distingue le curé avec deux autres personnes également admiratifs.

- Les scénettes du bas du panneau illustrent au contraire de l’épouvante : une lavandière abandonne son linge,

un paysan s’accroche à un arbre, d’autres partent en fuyant,


- Puis la scène cruciale avec le ballon écrasé et l’attroupement affolé des habitants de Gonesse tentant de tirer ou de massacrer le ballon écrasé à coups de pic :


- Plus bas encore, un couple de notables en promenade aux abords de l’église Saint-Pierre de Gonesse.

Les scénettes sont agrémentées de représentations dans le goût des scènes champêtres : moulin à eau, à vent, quelques arbres à une échelle inférieure, montrant ainsi la distance parcourue par le ballon depuis el Champs de Mars. On pourrait voir dans ces rapports d’échelle la métaphore du décalage perceptible entre les paysans de la campagne apeurés et les urbains ébahis.

Autres toiles de Jouy rapportant l’engouement pour les ballons : Roses et montgolfière (1784) par la manufacture de Jouy, Montants de fleurs ondulants et ballons (1785) par une manufacture nantaise, Première traversée de la Manche (1785 ?) par la manufacture de Jouy

 

4/ Bibliographie / liens internet

   

Ballons et Mongolfieres Dans la Toile Imprimee
De Anne de Thoisy-Dallem, Editions des Falaises, Une publication du Musée de la Toile de Jouy, 48 pages, 2009 L’exposition "Voyages en ballon, l’aérostat dans les arts décoratifs aux XVIIIe et XIXe siècles" s’articule d’abord autour d’un emprunt très important du musée de la toile de Jouy : il s’agit de la collection Muller-Quênot (porcelaines, mobilier, peintures, gravures, dessins…) déposée à Rosheim en Alsace en attendant qu’un beau musée ne lui soit consacrée. Cette superbe collection a pu être admirée dans sa quasi intégralité, soit 270 pièces d’art décoratif retraçant l’histoire de cette première conquête de l’air par l’homme. Elle a été enrichie d’une collection de toiles de Jouy originaires de la célèbre manufacture d’Oberkampf ou d’autres manufactures de toiles imprimées (Alsace, Nantes, Normandie) décorées de charlières, montgolfières ou autres machines comme celle de Blanchard.

 


Toiles de Jouy : Les toiles imprimées en France de 1760 à 1830
de Sarah Grant et Christine Smith Editions
La Bibliothèque des Arts (21 octobre 2010), 144 pages
 

Deux liens sur le net :

La consommation des indiennes à Marseille (fin XVIIIe-début XIXe siècle)
Par Aziza Gril-Mariotte
http://rives.revues.org/1403?lang=en#abstract 

Le site du Musée de la Toile de Jouy
http://www.museedelatoiledejouy.fr/

   

 

 


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