Le jaune

catherine auguste
par
Catherine AUGUSTE,
Ancienne Elève des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités

nuancier de jaunes

Jaune : qui est de couleur d'or, de citron, de safran

Le jaune est la plus lumineuse de toutes les couleurs, il ressemble à un blanc plus dense, plus matériel. Il a quelque chose de rayonnant, de réjouissant. L'or fut souvent employé dans la peinture byzantine pour les arrières-plans des coupoles, des icônes pour symboliser le règne de la lumière et du soleil. Les peintres du Moyen-âge ont inventé des recettes à base de pigments pour recomposer un or mussif (voir recette ci-dessous) aussi puissant que l'or véritable car il manquait dans leur palette un jaune aussi vif que le bleu du lapis-lazuli ou le rouge cinabre. Ainsi ce sont succédés de nombreux jaunes depuis les ocres de la Préhistoire jusqu'au cadmium du XIX° siècle en passant par le très dangereux orpiment, avec, comme motivation première des peintres, la recherche d'un jaune vif stable à la lumière, car le jaune est la couleur symbole de la lumière.

 

1/ L'onde du jaune


 

Ondes de lumière, ondes radio, ondes des radars, infrarouge, rayonnement visible, ultraviolet, rayons X… sont toutes des ondes électromagnétiques disposées sur des longueurs différentes. La partie visible par notre œil n'est qu'une minuscule section de l'ensemble des ondes électromagnétiques. C'est dans cette partie visible que l'être humain perçoit certaines longueurs d'onde comme les couleurs : le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo et le violet.

On sait que les couleurs naissent des différences de réactions à la lumière. Si tel objet paraît jaune cela signifie que la surface de l'objet a une composition moléculaire telle qu'elle absorbe tout le rayonnement lumineux (rouge, vert, bleu…) sauf le jaune. L'objet en lui-même est incolore, c'est la lumière qui le rend coloré.

 

2/ Pigments et colorants jaunes

carreau de faïence du XVIIe siècle
carreau d'angle (XVIIème), provenance Jouques
(Sud de la France)
jaune à base d'oxydes
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

chale du kashmir, jaune indien
châle du Kashmir, XIXème siècle. Quand le jaune est indien.

Dans la liste ci-dessous sont évoqués les matières colorantes qui ont servi et servent encore à la constitution des jaunes. Ces matières colorantes peuvent être de nature différentes :

 - des pigments pour la peinture, 
les pigments sont des poudres colorées d'origine minérale dispersées dans un milieu où elles sont insolubles, la peinture

 - des colorants pour la teinture des textiles, 
les colorants sont des composés colorés solubles dans le milieu d'emploi. Ce sont des molécules organiques provenant de plantes, de lichens ou d'animaux et aujourd'hui parfois synthétiques

 - et des laques pour la peinture afin de pallier à la relative pauvreté de la palette des couleurs offerte par les pigments minéraux.
Une laque est une poudre minérale blanche teintée à partir de colorants.

Auréoline : Connu sous le nom de jaune de cobalt. Il a une grande transparence, s’utilise en couche mince, peu solide aux acides et aux alcalins. On le trouve dans les couleurs fines pour artistes à l’eau

Camomille des teinturiers, Anthemis tinctoria : Plante vivace dont on utilise les fleurs et les feuilles pour obtenir des jaunes citron, jaune d’or, orangés. Très utilisé en Turquie pour la teinture des tapis.

Chromate de baryum : Pigment jaune utilisé pour les couleurs fines.

Gaude , Reseda luteola : Plante herbacée avec petites fleurs en grappes. La matière colorante est la lutéoline qui donne un jaune très pur allant du jaune paille au jaune citron. La gaude a bénéficié d’une culture intensive jusqu’à la fin du XIX° siècle avant d’être supplanté par les colorants de synthèse. Utilisé pour la teinture et parfois en laque.

Genêt des teinturiers : Buisson épineux à fleurs jaunes qui permettent d’obtenir différents jaunes, dorés et intenses. Utilisé pour la teinture des laines.

Graines d’Avignon, Stil-de-grain : Fruits verts séchés du nerprun des teinturiers très utilisés jusqu’au début du XIX° siècle comme laque jaune à usage textile et alimentaire et également par les peintures en miniature. C’est le stil-de-grain qui manque de solidité à la lumière.
Autres appellations des graines d’espèces de nerprun : graines de Perse, d’Espagne, d’Italie, du Levant, de Hongrie, de Morée.

Jarosite : Terre jaune pâle contenant des sulfates de fer, de potassium et de sodium, utilisée dès l'Antiquité Égyptienne dans la peinture des sarcophages.

Jaune de benzidine : Pigments diazoïques fabriqués à partir de dérivés de benzidine. Peu employé par les peintres par manque de solidité à la lumière. Utilisé pour la coloration du caoutchouc.

Jaune de Berri (ou Berry) : Ocre jaune en provenance de cette région.
Synonyme : le jaune de France désignait jadis des ocres provenant de gisements berrichons

Jaune de cadmium : La première commercialisation du jaune de cadmium date de 1830. Aujourd’hui les cadmium vont du jaune citron au rouge bordeaux. Les jaunes et les jaunes orangés sont des sulfures de cadmium. Couleur de très grande vivacité, d’une excellente tenue aux températures élevées et d’une bonne compatibilité avec les autres pigments. Toxique quand il n'est pas artificiel.

Jaune de chrome : A la fin du XVIII° le chimiste Vauquelin analyse un échantillon d'un minerai rouge orangé découvert en Oural. Il y détecte un nouveau métal qu'il isole et nomme chrome, qui signifie couleur en grec, à cause de sa tendance à donner des sels de toutes les couleurs. L’introduction du chromate de plomb comme pigment se fait au début du XIX° siècle. Il est d'un beau jaune vif qui manquait à la palette des peintres, d'une bonne opacité et résistant à la lumière. Les couleurs vont du jaune vert au jaune orangé. Ils présentent l'inconvénient de la toxicité.

Jaune Hansa :C’est un pigment de synthèse azoïque de tonalité allant du vert-jaune à l’orangé. Les premiers pigments azoïques ont été découverts en 1858 et étaient destinés à la teinture des textiles. Ils forment aujourd’hui une classe très importante des pigments pour les peintures et les encres. Totalement insoluble dans l’eau, résistant aux acides et aux bases, d’une bonne solidité à la lumière.

Jaune indien : Utilisé aux Indes dans les miniatures à partir du XV° siècle, aux Pays-Bas dès le XVII° siècle. Le centre de production était au Bengale où des éleveurs nourrissaient leurs bovins de feuilles de manguier ce qui donnait une coloration jaune à l’urine des animaux. Recueillie, évaporée, filtrée, la matière colorante était expédiée à Calcutta. Le jaune ainsi obtenu était d’un jaune doré, transparent et d’une très belle profondeur. Les vaches étant sacrées, la production de ce jaune est interdite depuis longtemps. On ne dispose plus que d’imitations produites à partir d’aniline.

Jaune de Mars : Solution de sulfate ferreux précipitée par une lessive alcaline donnant une belle teinte jaune brunâtre. Couleurs très solides, d’un prix modéré et ayant une action anti-rouille, utilisées dans la peinture d’art.

Jaune minéral : Préparé par Turner à partir des oxychlorures de plomb.
Synonymes : jaune de Turner, de Cassel, de Kassier, de Vérone, de Montpellier.

Jaune moyen : Laque à base d’alumine teinte par un colorant azoïque de synthèse. Assez solide à la lumière.

Jaune de Naples : Mélange d’antimonite et d’antimoniate de plomb. Pigment jaune utilisé dans les céramiques de l’ancienne Egypte et de la Mésopotamie.
Au XVII° siècle, les Italiens préparent à partir d'un minéral antimonié présent sur les pentes du Vésuve, un jaune dit de Naples qui sera produit ensuite artificiellement. Remplacé par des mélanges de jaune de cadmium avec du blanc, il cessera d’être fabriqué dans les années 1970.

Jaune d’outremer : Chromate de baryum. Jaune clair d’un bon pouvoir couvrant utilisé pour les papiers peints et la peinture artistique.

Jaune de plomb et d'étain : Le jaune de plomb et d’étain était employé par les artistes peintres du XIV° siècle au XVIII° siècle. C'est un stannate de plomb qui a la couleur jaune vif de l'orpiment et présentant une faible toxicité. Remplacé par le jaune de Naples progressivement.

Jaune de zinc : Chromate de zinc et de potassium. D’une excellente solidité à la lumière, gamme allant du jaune citron à l’orangé mais les pouvoirs colorant et couvrant sont inférieurs à ceux du jaune de chrome.

Massicot : Pigment de protoxyde de plomb utilisé jusqu’à la fin du XVIII° siècle.
Synonymes : sandaracque, sansarace.

Orpin ou orpiment : Sulfures d’arsenic rencontrés à l’état naturel ou aussi produits artificiellement. D’une belle teinte jaune d’or et connus depuis le deuxième millénaire avant J.C. Abandonnés depuis l’arrivée des pigments de cadmium au XIX° siècle.
Synonyme : jaune d’arsenic.

Quercitron : C’est l’écorce d’une chêne d’Amérique du Nord dont la matière colorante le quercitrin a été introduite en Europe au XVIII° pour la teinture des cotons. Au XIX° on en fait des laques jaunes pour les papiers peints. Couleur jaune vert.

Rutiles (jaunes) : Pigments minéraux jaunes, jaune vert à orangé et brun. Pouvoir colorant faible, pouvoir opacifiant convenable, solidité supérieure à celle des jaunes de chrome.

Safran : Utilisé pour la teinture depuis plus de 3500 ans. La matière colorante est la crocine qui provient de la fleur d’un crocus. Les couleurs obtenues sont jaune soufre et jaune orangé très belles mais peu solides.

Sarrette des teinturiers : Plante vivace de l’Europe centrale et méridionale donnant de belles et solides couleurs allant du jaune citron au jaune d’or pour la teinture des textiles.

Vanadate de bismuth : Pigment jaune vert récent (fin 1970) ayant de bonnes qualités de vivacité, d’opacité et de tenue à la lumière

 

3/ Palette des couleurs à travers les âges

D’après
« Des liants et des couleurs »
de PETIT, ROIRE et VALOT, Edition EREC, 1995

 

4/ Variations sur les jaunes


 

Ambre : désigne une résine fossile due à des sécrétions d’arbres vivant il y a plusieurs millions d’années.
Adj. : d’une couleur jaune doré ou rougeâtre allant parfois jusqu’au brun

Ambré(e) ou ambrin(e) : qui a la couleur dorée de l’ambre jaune

Blond : D’un jaune pâle peu prononcé comme les épis blonds

Canari (jaune) : Couleur d’une partie du plumage du canari.
Synonymes : jaune serin ou jaune de Primuline

Citron : Couleur de l’écorce de citron

Incandescent : Flamboyant, pour qualifier une couleur jaune ou rouge

Isabelle : Qui est de la couleur mitoyenne entre le blanc et le jaune mais où le jaune domine

Jaune crème : Couleur de la crème formée sur le lait. Ambre pâle

Jaune paille : Jaune des chaumes des céréales

Jaune maïs : Couleur de la belle paille de maïs à l’état sec.

Jaune soufre : Jaune clair de la couleur du soufre en poudre

Jonquille : Terme de peinture et de dorure, le jonquille est une couleur secondaire que l’on compose avec du blanc et du jaune

Pisseux : Se dit d’une couleur jaunie, terne

Couleurs des pierres fines et précieuses :
Chrysolithe (doré)
Citrin ou citrine (quartz) jaune
Héliodore (béryl) jaune d'or
Topaze jaune orangé transparent

Quelques expressions :
Colère jaune (violente colère)
Fièvre jaune
Etre jaune comme un coing (avoir le teint tout à fait jaune)
Le métal jaune (l'or)
Rire jaune (rire d'une manière contrainte pour dissimuler son dépit)
En faire une jaunisse (éprouver un fort dépit)
Le maillot jaune, Le nain jaune

 

5/ Recette pour faire de l'or mussif


 

Secrets du Révérend Seigneur Alexis le Piémontois, XVI° siècle

"Fais fondre une livre de fin étain, et fondu qu'il soit, tire le jus du feu et y mets huit à dix onces de vif argent [mercure] ; mêle bien le tout ensemble qu'il soit comme une pâte, puis prends une livre de soufre et une livre de sel ammoniac très bien broyés. Incorpore le tout avec ladite pâte d'étain et d'argent vif, et les broies très bien ensemble en un mortier ou en un vaisseau de bois ou de pierre et non d'airain. Puis mettras toute cette composition en quelque fiole laquelle doit être bien lutée [bouchée] par la bouche ou emplâtré[e] de sorte que la luture surpasse d'un doigt ou deux. Après mettras ainsi au fourneau, lui faisant petit feu du commencement, et par après un peu plus grand, et ainsi l'entretiendras, en mouvant parfois d'un petit bâton ce qui est collé au verre. Et quand tu verras qu'il sera de couleur jaune, tu ôteras le feu et le laisseras refroidir, et tu auras la purpurine très belle, comme couleur de l'or, et après tu le broieras avec de la lessive, et la laveras d'urine ou de lessive, y ajoutant un peu de safran, et la détremperas avec l'eau gommée, comme verras ci-après clairement."

 

Quelques livres

 


Les matériaux de la couleur 
François DELAMARE et Bernard GUINEAU, Découvertes Gallimard, 1999


Couleurs, Pigments et Teintures dans les mains des peuples
Anne VARICHON, Edition Seuil (2000)

Des liants et des couleurs
J. PETIT, J. ROIRE et H. VALOT, Edition EREC (2000)

L'encyclopédie de la peinture
J. PETIT, J. ROIRE, H. VALOT, Edition EREC, Tome 1 (1999)


Art et science de la couleur : Chevreul et les peintres, de Delacroix à l'abstraction
Georges ROQUE, Edition Jacqueline CHAMBON (1997)


Art de la couleur, édition abrégée
Johannes ITTEN, Dessain et Tolra (1996)
La version abrégée explique clairement les différentes facettes de la perception des couleurs tout en laissant au lecteur la possibilité d'analyser les différents schémas et d'en tirer leur propres conclusions. Itten est un maître des couleurs, a lire absolument si la technique vous intéresse.

Techne 4 : couleur et pigments
Réunion des Musées Nationaux (1996)


Traité des couleurs
L. ZUPPIROLI, M.-N. BUSSAC, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (2001)
Du désir de mieux comprendre les couleurs sous tous leurs aspects, et donc de réduire l'éparpillement des connaissances, est née l'idée de ce Traité des Couleurs. Il offre à la curiosité du lecteur une vision synthétique des phénomènes, allant des théories d'Aristote aux récents développement en optique ou en physiologie, et des pratiques artisanales les plus anciennes. Cet ouvrage intéressera tous les curieux de la couleur : les scientifiques, les philosophes, les artistes et les artisans.

Pigments et colorants de l'Antiquité et du Moyen Age
Collectif, Ed. du CNRS; (Colloq Int Cnrs) 

 

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Bleu de lectoure

 
   

 

 


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