Copal, Benjoin, Colophane... : histoire de sciences
Une interview de l'auteur Pierre Laszlo


Pour retrouver Pierre Laszlo www.pierrelaszlo.net

 

 

 

1/ La trame de votre récit repose sur un texte mystérieux qui passe de main en main et traverse le temps depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours. Comment êtes-vous « tombé » dessus ?


 

« Sed loco pulvis cancri ter geminati, loti et calcinati pulveris thuris vegetabilitatis, ponatur et loco olei lapidis minoris mundi ponatur... »
J'eus à faire la recension d'une édition savante, moderne de ce manuscrit alchimique. En parcourant les notes, j'ai constaté l'ignorance de l'éditrice quant au sens de termes tels que "sang-dragon". Ce fut l'une des motivations de mon écriture.

 

2/ Ce texte latin est source de questionnement pour les protagonistes de votre récit ? Est-ce une recette alchimique ? Il est parfois scrupuleusement gardé, parfois abandonné lâchement ou avec humour. Y-a-t-il une transposition avec l’attitude scientifique d’aujourd’hui ?


 

C'est un fragment d'une recette alchimique. La science peut se définir comme résolution de problèmes. Le plus souvent, ce ne sont pas des énigmes auxquelles on se trouve confrontés. En effet, le monde réel est bien trop complexe, en général. Au contraire, le chercheur se pose délibérément un problème, "artificiel" par conséquent, avant de chercher à le résoudre. L'attitude scientifique d'aujourd'hui? En individuel, ne pas lâcher le morceau. Au collectif, suivre la grande masse des chercheurs, se ruer sur les sujets à la mode, ne pas hésiter à laisser tomber ceux qui ne le sont plus. Bref, un comportement inqualifiable.

 

3/ Chaque chapitre est consacré à une substance. On apprend ainsi beaucoup sur les propriétés et les usages du mastic, de la sandaraque, du mourongue… Comment avez-vous fait ce choix restrictif ?


 

En suivant mon sentiment, donc de façon assez arbitraire. Je voulais partager un savoir et suis donc allé de préférence vers des substances parmi les moins connues de nos contemporains.

Le mourongue est un petit arbre des pays chauds d'une dizaine de mètres. De croissance rapide, il fructifie dès la première année. C'est l'arbre à tout faire :

l'écorce entre dans la fabrication de cordage,

le bois fournit un colorant bleu pour la teinture des tissus,

les racines donnent un équivalent du raifort,

les feuilles sont appréciées des animaux en pâture,

il purifie l'eau de boisson,

les feuilles, les bourgeons et les gousses sont comestibles pour l'homme,

le tronc donne une gomme utilisée dans l'impression des tissus de type calicot,

la plante est également une véritable armoire à pharmacie dans toutes les contrées où il est exploité,

des graines on tire l'huile de ben proche de l'huile d'olive  pour accommoder les salades ou comme base pour les parfums...

le mourongue, dessin de valérie laszlo
© valérie laszlo

 

4/ Nous sommes étonnés de voir combien ces produits ont des usages aussi variés. Ainsi la gomme arabique, tirée de l’acacia senegal, est utilisée dans l’industrie alimentaire, pour la fabrication de l’encre, de l’aquarelle… J’imagine que toutes ces informations ne sont que le résumé d’un matériau volumineux ?


 

Je me suis aidé d'une grosse documentation, rapports de la FAO par exemple.

l'acacia du sénégal, dessin de valérie laszlo
acacia du Sénégal, la gomme arabique
© valérie laszlo

La gomme arabique est un exsudat du tronc de nombreux acacias que l'on récolte en pratiquant des incisions. La production est abondante car l'on obtient un demi-litre en moyenne par acacia..

Il y a environ 800 espèces d'acacias porteurs de cette gomme mais c'est essentiellement l'espèce acacia senegal qui est exploitée. Senegal provient du fleuve et du pays où il fut Implanté par les Arabes en Afrique occidentale entre le VIIIe et XVIe siècles. Quand les Européens arrivent à la fin de cette période, la gomme arabique constitue le principal objet commercial du Sénégal.

L'utilisation de la gomme arabique est très ancienne et ses usages sont multiples :

l'Egypte antique s'en servait pour rendre étanches les bandages des momies,

l'industrie alimentaire et en particulier la confiserie, l'utilise car elle conserve le moelleux et l'aspect translucide aux bonbons,

l'encre de Chine que les Anglo-Saxons appelle aussi encre d'Inde est une solution aqueuse de gomme de poudre fine noire (noir de carbone, noir animal ou de suie...),

ainsi la gomme arabique sert de liant à toutes sortes de pigments pour l'aquarelle et la gouache,

et bien d'autres utilisations : apprêt dans l'industrie textile, colle des timbres et enveloppes...

 

5/ Vous jouez avec vos personnages empruntés au monde réel, on voit ainsi passer Poussin ou les frères Goncourt. Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?


 

Mes goûts littéraires (Papillon de Lasphrise) ou artistiques (le portrait de Pierre Quthe au Louvre, ou Nicolas Poussin).

 

6/ Et puis, vous vous êtes accordés des libertés à leurs égards. Jusqu’où ?


 

Celles de l'historien ou du romancier historique: se contenter de combler, de façon discrète et sans anachronismes, des lacunes dans ce que nous savons de ces personnages historiques.

 

7/ Récit fictionnel et transmission du savoir sont intimement mêlés. Etes-vous un « militant » de la vulgarisation scientifique ?


 

Assurément. Je tiens que le partage du savoir est un devoir d'état du scientifique. De plus, c'est une qualité citoyenne: l'accès au savoir est un droit fondamental. Il n'est pas donné à tout un chacun de travailler pour le plaisir, cela mérite bien une contribution en retour! J'ai eu la grande satisfaction d'en être récompensé par deux grands prix, l'un de la Fondation de France, l'autre de l'Académie des Sciences.

Le laquier

La gomme-laque (au féminin) désigne la sécrétion d’une famille de résineux en réaction à la piqûre d’une cochenille.

Le laque (au masculin) est le latex qui résulte d’incisions faites sur les troncs d’arbrisseaux, le laquier ou plante à laque.

Un plant fournit annuellement une demi-livre de laque seulement.

Le laque est un vernis dur et imperméable à l’eau. On réalise le laquage d’un objet par des couches successives séchées et poncées entre chacune d’entre elles.
Dans l’artisanat traditionnel chinois, il n’est pas rare qu’un objet comporte quarante couches superposées !

D’un naturel brun clair semi-translucide, le laque peut être colorer de poudre d’or ou autres pigments minéraux.

L’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles apprécie les laques orientaux et rapidement des imitations furent mises sur le marché. C’est ainsi que vers 1730, les frères Martin mirent au point un vernis, le vernis Martin, destiné à concurrencer les laques de Chine et du Japon.


© valérie laszlo

 

Pour acheter le livre


 

Copal, benjoin, colophane... : Histoire de sciences de Pierre Laszlo aux Editions du Pommier
Copal, Benjoin, Colophane... : histoire de sciences
de Pierre Laszlo
Editions Le Pommier, Collection Histoire des Sciences, 284 pages, 2007

Présentation de l'éditeur
Au cours d'un récit aussi savant que palpitant, nous voici conviés à suivre les tribulations d'un texte mystérieux, dont l'inspiration alchimique s'impose. Nous rencontrons ses propriétaires successifs, depuis la fin du XVe siècle jusqu'à nos jours, des personnages fascinants dont chacun tente de résoudre à sa manière l'énigme posée par le grimoire. A n'en pas douter, il contient une recette dans laquelle interviennent les produits de diverses plantes... S'agit-il de la composition d'un baume ou d'un onguent, d'un vernis, d'un colorant, d'une cire ou d'une gomme ?
Au travers de ce parcours romancé, guidé par Pierre Laszlo, chimiste et homme de lettres, nous découvrons les plus singuliers usages et applications qui furent faits des diverses résines et gommes que la nature nous offre généreusement : nous apprenons, par exemple, comment le thyia fournit une résine, la sandaraque, utilisée dans des produits aussi différents que les feux grégeois et des vernis ; le pernambouc (ou pau brasil de son nom portugais) et le dragonnier des colorants rouges ; le camphrier... le camphre, bien sûr, qui fut parfois utilisé pour calmer les ardeurs amoureuses ; le pin est à l'origine tant de la térébenthine que du goudron et de la colophane ; l'aliboufier fournit le styrax, ou baume de benjoin... sans oublier les plantes largement utilisées dans la pharmacopée comme l'aloès, le mourongue ou le quinquina.

 

Vous pouvez retrouver une grande partie de des résines et des gommes présentées par Pierre Laslo
dans la boutique www.droguerie-couleur.com

 
   

 

 

 


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