Les portraits du Fayoum
par Catherine AUGUSTE
ancienne élève
des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités
A la fin des années 1880, les premiers
portraits de la région du Fayoum en Egypte arrivent en Europe par
l’intermédiaire de marchands d’antiquités et d’archéologues. Malgré
leur présence sur des momies égyptiennes, malgré les vêtements et
les coiffures représentés d’allure romaine, ces peintures sont
l’œuvre de peintres grecs ou hellénisés, héritiers de l’école
naturaliste d’Alexandrie. Les portraits du Fayoum sont le fruit d'un
mélange heureux dans un site prospère, le Fayoum.
Momie à portrait d’homme. Remarquez la différence
de
la pose
de trois quarts
de la tête et de la position
frontale
des pieds.
La disposition des bandelettes
de lin est typique d’Hawara, site du Fayoum le plus riche
en portrait.
IIe siècle après J.-C.
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Le contexte historique
Le Fayoum est
une dépression particulièrement fertile située à une
soixantaine de kilomètres au sud du Caire, sur la rive ouest
du Nil. La région qui bénéficiait de la présence d’un lac
naturel, aux limites retranchées aujourd’hui, et des
inondations annuelles du Nil était surnommée
le Jardin de
l’Egypte.
En 322 avant
J.-C., l’Egypte conquise par Alexandre le Grand passe alors
sous la domination grecque. Pendant plus de trois cents ans
une colonie gréco-macédonienne,
les Ptolémées, s’installe et
règne sur le pays dont Alexandrie devient la capitale.
Beaucoup de terres fertiles du Fayoum sont données aux
combattants grecs victorieux en récompense de leurs
services. Une société cosmopolite d’immigrants et de
populations indigènes se met en place pour atteindre son
point culminant au IIe siècle après J.-C.
En 31 avant
J.-C., la dernière reine de la dynastie des Ptolémées,
Cléopâtre, est vaincue par les Romains qui s’installent dans
la vallée du Nil. Ces derniers se trouvent mêlées à toute
une société à la fois grecque, hellénisée, et encore
profondément égyptienne, ce qui conduit à une grande
diversité de pratiques religieuses.
Les Grecs,
bien que fidèles à leur foi, ne restent pas étrangers aux
pratiques funéraires des Egyptiens : les défunts riches sont
momifiés et enterrés sur les hauteurs à l’abri des
débordements du Nil. De même, la pratique du culte du
souverain montre la forte influence de l’Egypte pharaonique
sur les sociétés grecques puis romaines. Les anomalies de
pratiques s’estompent dans le temps et l’on voit les dieux
gréco-romains et égyptiens considérés comme appartenant au
même panthéon : Déméter et Isis sont semblables.
C’est dans ce
contexte des trois premiers siècles de notre ère que les
momies du Fayoum vont être dotées de portraits peints sur
linceul ou panneaux de bois fixés sur le visage. C’est en
quelque sorte la contribution des peintres grecs et romains
au combat des Egyptiens contre la mort.
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Ce portrait d’homme semble avoir été commandé du vivant du modèle du
fait de sa pose : une tête tournée et une torsion du cou
comme prises sur le vif. La convention picturale incitait au
rendu d’une peau tannée pour les hommes. Encaustique sur
panneau sans traces de couches d’apprêtage, vers 161-192
après J.-C., Musée Egyptien du Caire.
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Les artistes du Fayoum et le naturalisme grec
Les outils du
peintre peu nombreux et faciles à transporter ont du
permettre l’itinérance de quelques peintres. Par ailleurs,
des papyrus conservés nous renseignent sur la profession, en
grec zographoï qui littéralement signifie « peintre
de la vie ». On sait ainsi que certains travaillent là où
ils habitent. Certains sont nommés dans demandes de
paiement. Il s’agit bien d’une profession à part entière.
Après la
conquête d’Alexandre de nombreux artistes grecs sont venus
s’installer en Egypte, côtoyant la nouvelle école
d’Alexandrie, héritière de l’art grec. Ces portraits du
Fayoum sont de pures inspirations de la tradition de l’art
grec pour le naturalisme et le réalisme. A les regarder il
semble que ces défunts représentés continuent de vivre
malgré les siècles.
La technique des portraits du Fayoum
1/ le support
Il est
constitué en majorité de panneaux de bois de très faibles
épaisseurs autour de 2 millimètres. Plusieurs hypothèses
peuvent expliquer cette minceur : le panneau s’incurve plus
facilement et s’adapte alors à la forme du haut du corps
lorsqu’il est placé sur la momie. La deuxième hypothèse est
la rareté du bois en Egypte et donc son prix élevé. Parmi
les bois, le figuier sycomore est le plus largement employé,
c’est aussi le plus répandu dans cette région du Fayoum. Le
cyprès, le cèdre, le pin ou le tilleul sont plus rarement
utilisés. Le format moyen des panneaux présente une hauteur
de 35 centimètres pour une largeur de 18 centimètres.
Le deuxième
support, moins représenté dans ces portraits du Fayoum, est
la toile de lin taillée pour le portrait ou pour le linceul.
C’est également la matière des bandelettes de la momie.
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Jeune fille dite l’Européenne à cause de son teint de pêche.
Le regard se détourne du spectateur ; le foulard sur le cou
et les épaules en feuille d’or est unique parmi les
représentations qui nous sont parvenues. La palette se
résume à l’emploi du noir, du blanc, d’ocre jaune, d’une
laque probablement de garance et d’u vert pour le cabochon.
Encaustique sur panneau de bois,
vers 117-138 après J.-C.,
Musée du Louvre.
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2/ les couleurs et la dorure
L’analyse des
portraits révèle un usage restreint de couleurs
à partir
desquelles les carnations des visages prennent toutes leurs
nuances : le blanc, l’ocre jaune, la terre rouge et le noir.
A cette palette limitée s’ajoutent parfois le bleu, le vert
et le pourpre dans les vêtements, les couronnes ou les
bijoux.
L’or en feuille est souvent ajouté postérieurement à
la peinture par les embaumeurs égyptiens lors de son
installation sur la momie. Nouvelle alliance de deux
traditions :
la peinture grecque et l’or des embaumeurs.
3/ les médiums
Deux
techniques ont été mises à jour :
l’encaustique et la
détrempe.
La peinture à
l’encaustique est à son apogée à l’époque classique grecque.
Ce mot a pour origine enkaïein qui signifie brûler.
Deux procédés sont utilisés dans les portraits du Fayoum :
-
la cire appliquée chaude avec adjonction de résine,
fondue et mélangée aux pigments,
-
la cire froide émulsionnée, mélangée avec des
pigments, de l’œuf, de l’huile ; ce procédé de
saponification permet l'application encore tiède voire refroidie.
La peinture à
la détrempe a pour base un médium à l’eau qui donne une
peinture plus lisse, traitée dans les portraits du Fayoum
par petites touches entrecroisées. Les agglutinants peuvent
être variés : colle de peau, gomme arabique, résine mastic
de Chios, blanc ou jaune d’œuf.
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La momie de cette femme porte l’inscription
« Dèmos, âgée de
24 ans, souvenir éternel ».
La cire a été appliquée en fine
pellicule, l’outil dur d’estompage a laissé de très
subtiles traces mêlant toutes les couleurs de la peau.
Encaustique sur panneau, vers 75-100 après J.-C.,
Musée
Egyptien du Caire.
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4/ les étapes de mise en œuvre
Généraliser la mise en œuvre des portraits du Fayoum
nous conduirait à
décliner les étapes suivantes :
-
un apprêtage du support, généralement une (ou
plusieurs) couche de colle de peau teintée avec des pigments
allant du kaki au brun foncé. Une des règles des portraits
peints du Fayoum est de travailler du plus foncé au plus
clair.
-
une esquisse rapide du portrait à la détrempe.
-
pose des différents fonds, des vêtements, de la
chevelure avec de la cire chaude au pinceau large.
-
peinture des traits du visage en épaisseur ; après
refroidissement de la cire, travail d’estompe avec des
outils durs. Ces outils durs permettent de créer aussi des
lignes, des « blessures » qui produisent une surface
vigoureuse.
Dans le cas des peintures à la
détrempe, les fonds sont préparés d’une (ou plusieurs)
couche d’enduit, mélange de colle de peau et gypse. Ce type
d’enduit n’est jamais posé en apprêtage de la peinture à
l’encaustique car la cire n’adhère pas sur le plâtre.
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L’inscription
en grec sur la tunique blanche indique
« Eutychès, affranchi
de Kasianos ».
Le portrait est peint sans couche
préparatoire, en cire épaisse.
Le modelé du visage est rendu
par une lumière en haut à gauche, orientation la plus
courante dans l’art pictural.
Encaustique sur panneau, vers
193-211 après J.-C.,
Metropolitain Museum of Art, New York. |
Exemple de
pose de feuille d’or sur le visage, la couronne et les
vêtements. Le visage est traité pâle, le regard droit. On
devine la couche foncée du dessous au bas du panneau.
Encaustique sur panneau avec feuille d’or,
vers 25-37 après
J.-C., Cleveland Museum of Art. |
Bibliographie
Portraits du Fayoum
Euphrosyne Doxiadis
Edition Gallimard
247 pages
1995
Commentaire amazon :
Dans la profusion des beaux livres archéologiques, celui
d'Euphrosyne Doxiadis est l'un des plus originaux. Il rassemble la
grande majorité des portraits retrouvés en Egypte sur les momies
d'époque romaine. Sur bois ou sur linceuls de lin, protégés des
outrages du temps par les sables égyptiens, ils furent découverts
dans les années 1880, et dispersés dans le monde entier. Le
magnifique ouvrage de l'auteur donne enfin à ces portraits la place
qui leur revient dans la peinture occidentale. Portraits anonymes et
envoûtants, ils symbolisent, par-delà les millénaires, ce défi qui
hante la culture occidentale: tenir tête à la mort.
Les photos de l'article sont tirées de cet ouvrage.
L’apostrophe muette
Essais sur les portraits du Fayoum
Jean-Christophe Bailly
Editions Hazan
174 pages
2005
Les portraits du
Fayoum nous confrontent à des visages qui nous regardent comme d'un
lieu neutre qui ne serait ni la mort ni la vie, et ils le font
depuis un très lointain passé qui atteint presque par miracle notre
présent. La représentation d'un visage singulier est comme le calque
de la singularité elle-même: singularité de chaque visage,
singularité qu'il y ait ou qu'il y ait eu tous ces visages et qu'à
chaque fois chacun soit ou ait été l'unique, le dernier, le seul à
être ainsi, voyageant avec cette face dans la vie, expédié comme tel
dans la mort. Avec l'art du Fayoum, c'est comme si la finition qui
n'appartenait qu'aux dieux ou aux rois était remise à l'homme, mais
en douceur et loin de toute appropriation, comme un dépôt
extrêmement fin -une peau, un pigment, une carnation. Avec ces
visages, quelque chose du grand songe nilotique se maintient et se
met à flotter, presque hors du cadre religieux, dans une pérennité
rituelle mais où le sacré -le lien de la vie à la mort -devient une
sorte d'émulsion: cette lumière mate, uniforme, où s'ouvrent les
grands yeux. (présentation de l’éditeur)
Fayoum
Bérénice Geoffroy-Schneiter
Edition Assouline
80 pages
1999
Introduction à ces
belles et mystérieuses "icônes" du monde antique, d'exquis portraits
sur bois ou sur linceuls de lin, d'hommes et de femmes qui vécurent
en Egypte sous la période romaine. Ces portraits dits "du Fayoum"
(de la région où l'on en a retrouvé le plus grand nombre) furent
retrouvés sur les sarcophages des momies. (commentaire amazon.com)
Deux sites pour voir des portraits du Fayoum et en savoir plus
Fondation Jacques Edouard Berger
Les
portraits du Fayoum d’un clic de la souris en choisissant la ville
de conservation ou la zone de production
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