L'écaille de tortue, matériau du meuble
par Catherine
AUGUSTE
L’écaille de tortue, origine et natureLes tortues marinesC’est à partir des tortues marines que l’on tire l’écaille, celle qui est utilisée dans la marqueterie ou dans la confection de petits objets. Il existe sept espèces de tortues marines mais deux sont recherchées pour leurs écailles : - la tortue à écailles ou tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), appelée également caret. C’est la plus rare. Ses écailles s’imbriquent les unes au-dessus des autres et présentent des colorations plus ou moins blondes orangées avec des jaspures irrégulières et bien marquées dont la teinte s’échelonne du brun pâle au noir. C’est aujourd’hui l’espèce la plus menacée car elle fut longtemps chassée pour la beauté de ses écailles. - La tortue verte ou écaille franche (Chelonia mydas) possède des écailles plus épaisses et plus grandes que celles de la tortue imbriquée. La couleur de son écaille est verdâtre au-dehors et noirâtre au-dedans avec de larges taches allant du jaune citron au brun foncé. Outre, la viande, les œufs, le cuir, la tortue verte fut exploitée pour le travail de marqueterie. Comme la tortue à écailles, c’est une espèce menacée. La nature de l’écailleL’écaille de tortue est composée de
kératine et de corps azotés de la même façon qu’un ongle. Les
écailles forme une cuirasse qui protège la tortue. - la dossière, ou carapace, est composée de treize écailles ceinturées de petites écailles, - le plastron qui couvre le ventre de la tortue, est composé de feuilles soudées ou articulées entre elles.
La tortue imbriquée peut peser 100 kg pour une taille de 100 cm, la tortue verte est un peu plus grande, 130 kg pour 110 cm en moyenne. Mais le rendement en terme d’écailles est faible, autour d’un kilogramme. Les plus belles écailles proviennent des carapaces les plus vieilles. Sachant que la maturité sexuelle des tortues marines est atteinte après dix ans voire plus et que la ponte se produit tous les trois ans environ, on imagine la rareté des écailles tant recherchées. L’écaille de tortue brute doit être préparée avant toute utilisation : elles sont assouplies dans de l’eau bouillante salée afin d’éviter leur blanchiment ; puis les plus gros défauts sont ôtés à l’aide d’un petit rabot. La transparence et la brillance sont rendues par un polissage final. Mais la qualité de l’écaille ne s’arrête pas aux reflets esthétiques, en effet sa nature nous permet de la transformer. Jusqu’aux XVIIIe siècle, l’écaille de tortue fut essentiellement utilisée dans les jeux de marqueterie. Il fallut attendre le XIXe siècle pour échapper aux contraintes de l’épaisseur de l’écaille grâce aux techniques d’autogreffe (sans collage) mises au point. L’artisan pouvait alors travailler dans la masse, sculpter, tourner et façonner de véritables dentelles. L’écaille de tortue dans la marqueterie
L’écaille de tortue est utilisée depuis bien longtemps par les Polynésiens et les peuples d’Asie à proximité des eaux tropicales, habitats privilégiés des tortues marines. Plus près de nous, les auteurs latins Virgile ou Juvénal évoquent déjà des meubles incrustés d’écaille. Ses transparences proches du verre et ses reflets dorés en firent sans aucun doute un objet de convoitise. D’ailleurs le berceau supposé d’Henri IV est une carapace entière de tortue présentée au musée du Château de Pau, sa ville natale. Mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que l’écaille devienne un produit particulièrement recherché en Europe et que les artisans ébénistes en acquièrent la maîtrise. L’inventaire de Mazarin témoigne de l’existence de vingt-deux cabinets d’écaille et d’ébène, de fabrication allemande, italienne ou hollandaise.
Ce type de mobilier connut un engouement dans toute l’Europe princière de la première moitié du XVIIIe siècle. Avec la période trouble de la Révolution, l’importation de l’écaille devint difficile et la production de mobilier marqueté dans la tradition Boulle tout autant.
C’est sous Napoléon III que l’écaille reprend ses lettres de noblesse grâce aux réemplois de panneaux de meubles ou de marqueteries anciennes par les ébénistes. On voit alors une production conséquente de meubles dans le style de Boulle grâce à un approvisionnement facilité de la matière première ainsi qu’à des techniques d’exécution améliorées. L’écaille de tortue, un produit réglementé
L’écaille de tortue est un produit réglementé pour la raison que les tortues imbriquée et verte sont aujourd’hui des espèces menacées d’extinction. La tortue imbriquée est l’espèce marine qui a subi la prédation humaine la plus importante. Des textes de l’Antiquité romaine citent l’écaille de tortue comme une marchandise. Le Japon et la Chine la chassent pour sa viande dès le Ve siècle avant J.-C. Elle est également prisée pour la confection de parfums ou de produits de beauté, et le décor de nombreux objets jusqu’à la fabrication des montures de lunettes. Mais la prédation ne s’arrête pas là : on évoque aussi les techniques de pêche actuelles qui les emprisonnent dans les filets ou bien les ingestions des sacs plastiques, pris pour des méduses par les tortues, qui conduisent à des occlusions intestinales. Le commerce à grande échelle a surtout débuté dans les années 1950 au point que, dès 1968, l’espèce fut identifiée comme menacée. En 1975, les tortues imbriquées de l’Atlantique Nord sont inscrites à l’ Annexe I de la CITES, celles du Pacifique en 1977, c’est-à-dire dans la catégorie la plus menacée d’extinction. La convention de Washington et la réglementation du commerce des espèces menacéesLa Convention de Washington, signée en 1973pour lire les textes en intégralité : cites
Les annexes de l’UEVoir le lien suivant pour le détail des
Annexes et des formalités obligatoires pour détenir ou
transporter des espèces protégées : Les Etats membres de l’Union Européenne ont mis en place des règlements qui renforcent l’application de la Convention de Washington sur leur territoire. Ainsi les flux des espèces inscrites à la CITES (Annexe I, II et III) ainsi que d’autres espèces de la Communauté Européenne sont maîtrisés par quatre annexes : Annexe A : la liste correspond à l’Annexe I de la CITES, celle des espèces menacées d’extinction, à laquelle s’ajoute certaines espèces de l’UE. Annexe B : c’est en quelque sorte l'Annexe II de la CITES qui autorise le commerce international des espèces protégées mais d'une façon réglementée et limitée à un niveau qui ne compromet pas la survie de l'espèce. Annexe C : elle regroupe les espèces de l’Annexe III de la CITES dont le commerce international est réglementé à la demande de certains pays exportateurs. Elle décrit les espèces déclarées en danger sur le territoire d’un ou de plusieurs pays et pour lesquelles des mesures de sauvegarde particulières, ayant pour but d’empêcher ou de restreindre leur exploitation, s’imposent. Annexe D : elle comprend des espèces non inscrites dans les annexes de la Convention de Washington mais pour lesquelles l’Union européenne souhaite surveiller les flux d’importation vers les différents Etats membres. Pour les Annexes A, B, C la réglementation s’applique à l’animal ou à la plante vivants ou morts ainsi qu’aux produits et objets qui en sont dérivés. Pour l’Annexe D, le champ d’application concerne les animaux et végétaux vivants. En France, les permis et les certificats encadrant le commerce des espèces surveillées sont délivrés par les Directions Régionales de l’Environnement (DIREN). Livres à lire
Le cuir : Les os, l'ivoire, la corne, l'écaille, les perles et
le corail
L’art et les techniques de l’écaille
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