Ce qui caractérise un beau meuble peint

catherine auguste
par
Catherine AUGUSTE 
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités

Cet article aurait aussi pu s'appeler : "Ou ce que nous pouvons apprendre de l’histoire afin d’éviter quelques erreurs décoratives"

L’observation et l’analyse de meubles peints peuvent nous éviter des erreurs dans l’élaboration d’un décor. Certains facteurs sont à prendre en considération avant tout projet : un meuble de style ou rustique ou en vieux bois ou parfaitement neuf donne déjà un état d’esprit avant même d’avoir été peint. Un bouquet de fleurs ne devra pas être traité de la même façon selon le support : une préparation lisse du support offre une place de choix à des fleurs réalistes, un fond où le veinage transparaît est plus approprié à un bouquet stylisé.

D’autres critères entrent en jeu dans la réussite : les rapports de proportions entre les motifs, la composition comme le partage des panneaux, la symétrie, le rappel décoratif sur les latéraux ou la traverse. La couleur implique également une ambiance, une âme au meuble : il y a des couleurs que l’on rencontre davantage, on peut se demander pourquoi ? La finition vernie, cirée, patinée, les usures, l’attention apportée à l’intérieur du meuble achèveront le rendu final. 

L’analyse de chacun de ces facteurs sera appuyée d’exemples concrets de meubles de style et d’époque différents. L’objectivité n’est pas évidente, il s’agit ici de dégager des permanences liées à une culture, une façon de s’approprier cette culture et de la réinterpréter. Vous trouverez tous des contre-exemples à ce qui est dit. Malgré tout nous nous posons toujours ces questions avant tout projet : "sur quoi je peins, qu’est-ce que je vais peindre et comment, cette couleur avec cette couleur…"

 

1/ Peindre sur quel mobilier : chaise, armoire, neuf, rustique… ?



 

a / Rustique ou de style

Tout type de mobilier se prête à la peinture décorative : autant les chaises, les armoires, les commodes que les tables de jeu ou les bois de lit sont des supports propices à l’ornementation. L’histoire de la peinture décorative nous en montre de multiples exemples : il suffit de voir les chaises provençales simplement rechampies, les coffres alsaciens, les bois de lits autrichiens baroques, les petites tables couvertes de chinoiseries comme des porcelaines du Musée Carnavalet…

On peut par contre observer à travers ce patrimoine mobilier qu’à un type de meuble s’adapte plus heureusement une facture ou un décor. En effet, est-il souhaitable de peindre une imitation de porcelaine bleue et blanche de Chine, très à la mode au XVIII° siècle, sur un châssis de bois rustique ? A l’inverse, un motif de bouquet trilobé de facture naïve, typique de la peinture paysanne alsacienne, voit difficilement sa place sur une commode de style Louis XV. Les pratiques picturales anciennes s’adaptaient au support, le plus souvent contraintes par des raisons de coût :

- un meuble d’ébénisterie d’art demandait un travail décoratif approprié, délicat ; au plus haut de la richesse, les cabinets, meubles rares car précieusement ouvragés en ébénisterie. Marqueterie de bois exotiques, incrustation d’ivoire et autres matériaux précieux, conception architecturale côtoient des scènes bibliques peintes par des artistes renommés. La peinture accompagne. Ici l’ornementation répond à une clientèle aux moyens les plus élevés ; les fonds sont parfaitement préparés, le peintre a le souci du détail.

- les meubles davantage de série, de style reconnaissable, avec parfois des bronzes, des pieds ciselés ou des sculptures sont pour une clientèle bourgeoise. La facture picturale est encore délicate : les bouquets sont réalistes, les arabesques s’enchevêtrent gracieusement. Des petits tableaux de paysages ou de scènes de chasse ornent les portes. On peint un peu plus vite. Parfois la technique de l’arte povera vient au secours d’une demande pressante : dans l’Italie vénitienne du XVIII° siècle beaucoup de secrétaires ou de commodes étaient couvertes de gravures colorées. Les ateliers gagnent ainsi des heures de travail, satisfont la demande pour des meubles encore richement ornés.

- enfin les meubles plus rustiques vont aux régions rurales. On cache le bois, entièrement ou partiellement, puis on peint des motifs à la pureté naïve, parfois exécuté au pochoir.

On comprend facilement que le type de support, la préparation des fonds et la facture picturale sont intimement liées.

 

b/ Anciens ou neufs

Un meuble neuf aux arêtes aiguisées, aux panneaux lisses supportera difficilement une facture picturale rustique. Si l’on regarde la photographie du coffre alsacien, on s’aperçoit que ce genre de meuble est à l’origine façonné et assemblé sommairement. 

Les grandes ponceuses électriques n’existaient pas. Les motifs réalisés au pochoir sont placés comme des tampons avec des couleurs peu variées. Pour atteindre cet effet il faut mieux peindre sur un meuble ancien ou assemblé à partir de vielles planches ou ne pas hésiter à créer des usures judicieuses (corniches ou pieds par exemple).

Un meuble neuf requerra une préparation particulière ; si l’objectif est un meuble rustique au risque d’atteindre un effet désastreux : Il ne faudra pas hésiter à créer des usures judicieuses, sans trop en faire, sur la corniche, les pieds, partout où le meuble a pu souffrir lors de déplacement. De la même manière, la finition fera gagner quelques années d’ancienneté.

 


Une commode vénitienne 
réalisée en arte povera

 

c/ Analyse de meubles (le pouvoir des moyens)

Travail vénitien du début XVIII° siècle. Il s’agit d’une commode vénitienne dans le goût rococo. L’espace est totalement investi par le décor selon une composition symétrique. Pour se passer de peintre, les ébénistes vénitiens préparaient proprement les fonds avant d’appliquer la technique du collage de gravures colorées et vernies plusieurs fois. Dans cet exemple, toutes les guirlandes de fleurs tiennent de principe et seuls les filets verts sont peints à la main ce qui permet d’atteindre « rapidement » un degré de richesse. La reproduction de ce type de meuble est possible dans un atelier bien organisé.


Détail d’une armoire allemande du XIX° siècle

Ce simple détail pour montrer un meuble de facture plus modeste : les fonds sont grossièrement préparés (on voit encore le veinage du bois sur le fond clair du bouquet), on tamponne le cadre rouge d’empreintes aléatoires. Le bouquet est très stylisé, réalisé à main levée sans travail d’ombre et de lumière.

Ce n’est donc pas tant le type de mobilier (chaise, commode, armoire, berceau…) qui conditionne le style de peinture (choix des motifs et facture) que le degré d’élaboration du meuble et des bois utilisés. Les moyens des commanditaires conduisent inévitablement au degré de délicatesse de l’ornementation : la palette est large de la joyeuse naïveté de la peinture paysanne au meuble conçu comme des toiles de maîtres des princes. Support, traitement des fonds doivent en adéquation avec le sujet et sa facture.

   

2/ Les motifs : organisation et rapport d’échelle



 

a/ Motifs ornementaux

On constate une permanence des motifs dans le meuble peint : la rosace, les croisillons, la feuille d’acanthe, les étoiles, les chinoiseries, les rocailles, les couronnes, les monogrammes… Peints sous des formes plus ou moins détaillées ou stylisées, ils peuvent se décliner en cadre, accompagner les courbes du meuble, orner les coins, partager un vantail ou prendre la place centrale d’un panneau. L’objectif est d’enrichir un bois souvent pauvre par la couleur, les formes ou l’effet de profondeur. On cache, on fait illusion ou acte de virtuosité.

L’œil occidental les apprécie par habitude à cause de leur omniprésence dans les arts décoratifs en général : on s’attend à voir une frise végétale courir le long du dossier d’une chaise ou bien un monogramme planté sur le dessus du cadre d’une armoire, des feuilles d’acanthe servir de cadre à un paysage. On pourrait donner tant d’autres exemples dans l’orfèvrerie, l’architecture ou le textile. Tous ces motifs peuvent être associés à volonté, sauf dans le cas d’une restauration qui impose un certain respect des répertoires. La seule retenue à avoir est sans doute la taille de reproduction du motif. Il me semble désagréable de voir sur un meuble qui par nature n’a pas de vastes dimensions, une représentation peinte plus grande que sa réalité : par exemple des fleurs ou une quelconque partie humaine (main, yeux). Il s’en dégage souvent une disgrâce et le regard a plus de mal à y plonger « naturellement ».

Les dimensions du motif peuvent conduire à peindre davantage de détail : plus de nuances de couleurs, des effets d’ombre et de lumière ou bien un tracé du dessin plus varié.

b/ Effets de matières

Aux côtés ou sous les motifs, les peintres accordent parfois une place aux effets de trompe-l’œil : effets de faux bois quand le support bois n’est pas suffisamment riche (exemple des horloges comtoises), effets de marbre pour des cadres de saynètes, effets de tampons, effets de faux or en travaillant les ombres et les lumières de jaunes, effets de porcelaine et de craquelures. Attention aux effets de trompe-l’œil lorsque la matière imitée a été mal observée. Le rendu médiocre fait aussitôt un effet de raté et de mauvais goût.

c/ Composition des motifs

Un meuble est construit le plus souvent comme un objet symétrique : quatre pieds, répartition des tiroirs ou des portes selon un point central, même profondeur des deux côtés… Les plans de construction se font d’ailleurs souvent par moitié à l’axe. Cela n’implique pas qu’il y ait autant de tiroirs dans le haut ou le bas d’une commode, de même qu’il existe des penderies à une porte mais l’œil concentre toujours son attention sur des axes verticaux ou horizontaux.

De cette évidence, on imagine sans trop de concession que la composition d’un décor puisse se faire selon les mêmes règles. On s’attend à ce que les motifs se répartissent équitablement entre chaque panneau : si l’on encadre un médaillon, on encadrera tous les autres médaillons placés dans le même rang d’importance. On hiérarchise, « on symétrise ».

L’observation des meubles peints de style et d’époque différents conduise à cette constatation. Mais cette permanence n’est pas sans exception dans le mobilier contemporain : il suffit de voir les meubles de laque de Jean Dunand (1877-1942) 

 

d/ Analyse de meubles (une symétrie parfaite qui s’échappe)

Ce coffre en sapin (coffre alsacien du XVIII° siècle ) a été créé pour conserver le blé ou la farine. Le bois a été couvert d’un sang de bœuf bruni et le décor de rosaces appliqué au pochoir. Le décor n’est présent que sur la partie frontale, la face la plus visible. La fonction du meuble est paysanne, la construction sommaire, les motifs sont presque un luxe. La composition ornementale est très symétrique : les deux rectangles de l’abattant se retrouvent sur les panneaux du bas selon le même principe. Les rosaces d’étoiles et de fleurs très stylisées sont pochées en noir de suif et blanc-crème.
Peu de couleurs, trois types de rosaces (très présentes sur les meubles de cette région), une composition attendue. Le tout confère malgré tout une élégance à ce meuble purement fonctionnel

 

 

Il s’agit d’un secrétaire à abattant d’époque Louis XV. L’élément décoratif principal est les doubles bordures « rocaille » qui donnent toute la structure. L’originalité réside dans le fait que les bordures sont organisées comme un seul motif glissant sur la façade faisant fi des portes et de l’abattant du secrétaire; il est symétrique selon le seul axe vertical. Les bouquets posés et les feuillages enroulés ne sont presque que des accessoires. Le motif est reporté sur les côtés comme compressés par la faible profondeur. L’omniprésence de l’ornementation sur les pieds, les coins, la traverse, les côtés et la façade témoigne d’une volonté ostentatoire.
Ce secrétaire est sobre dans ces lignes : pieds simplement cambrés, traverse légèrement chantournée. La qualité de la facture du décor  (épaisseur des traits, ombre et lumière quasi inexistante, simplification des fleurs) atteste une parfaite adéquation avec la simplicité du meuble.

 

Ce cabinet dessiné par Gio Ponti et peint par Piero Fornasetti reprend un décor architectural inspiré de gravures du XVII° et XVIII° siècle. Plus de symétrie apparente dans la composition, chaque compartiment (partie buffet bas, partie secrétaire à abattant et partie trumeau) est conçu séparément et le peintre joue sur une progression de vue intérieur-extérieur :

Intérieur d’un palais dans la partie buffet bas,

Vue sur une cour dans la partie centrale,

Vue sur une façade extérieure sur le trumeau,

Et sur les côtés un appareillage de pierre taillée.

Il n’y a plus de répétition de motif d’un pan à l’autre, ce qui nous est proposé c’est un point de vue toujours central des architectures peintes. Il y a donc un soupçon de symétrie.

Ce meuble des années 1950 est décoré comme les premiers cabinets de la Renaissance : une pièce rare avec un thème, ici des gravures d’architecture ancienne. La structure du meuble ressemble elle-même à une architecture par sa hauteur, par la niche perçue comme une fenêtre. Le faux appareillage de pierres contribue à cette illusion. Le parti pris d’une facture picturale parfaite s’associe harmonieusement avec les lignes pures de ce meuble contemporain.  

 

 

   

 

 


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